Katia Leonelli

Question urgente écrite déposée par Katia Leonelli en janvier 2021

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: QUE 1462 A

Exposé de la question:

Le 24 novembre 2020, le rectorat de l’Université de Genève a mis à jour
une directive concernant les « Modalités applicables à l’enseignement et au
contrôle des connaissances pour l’année académique 2020-2021 ». Dans
cette dernière, l’Université de Genève y autorise notamment la
vidéosurveillance généralisée des étudiantes et étudiants. Cet état de fait
suscite cependant des questionnements importants.

En premier lieu, la temporalité de la rédaction de cette directive interpelle.
Il est indiqué sur ce même Mémento que la première mise en ligne date du
5 octobre 2020, tandis que la version actuelle a été finalisée le 24 novembre
2020. Il est fortement étonnant de constater qu’aucun organe démocratique
au sein de l’Université n’a été consulté, ni même mis au courant, dans les
50 jours séparant ces deux dates.

En second lieu, il est surprenant que cette mesure de vidéosurveillance,
déclarée illégale au semestre précédent par le PPDT (préposé cantonal à la
protection des données et à la transparence), soit déclarée à l’heure actuelle
légale par ce même PPDT, 6 mois après la première décision. Cette légalité
de façade, ou « zone grise » juridique repose sur la prévalence de l’intérêt
public, soit le bon déroulement des examens, au détriment de la protection de
la vie et des données numériques des étudiantes et étudiants de l’Université
de Genève, et ne s’applique qu’en cas de contexte sanitaire troublant, soit
uniquement dans le contexte du Covid-19. Rappelons par ailleurs que la communauté étudiante de l’Université de Genève est composée de plus de
19 000 personnes, ce qui élargit substantiellement l’ampleur de cette
vidéosurveillance et écarte par là même un « phénomène marginal ».

Troisièmement, il est stupéfiant que l’Université de Genève ait agi à
rebours de législations supérieures, comme le droit fédéral et le droit
international. En effet, la surveillance numérique est une atteinte claire au
droit au respect de la vie privée, pourtant garanti par l’article 13 de la
Constitution fédérale ainsi que par l’article 8 de la Convention européenne
des droits de l’homme.

Quatrièmement, il va sans dire que la vidéosurveillance est une source de
stress et d’angoisse supplémentaire pour les étudiantes et étudiants durant la
passation de leurs contrôles de connaissances, en atteste l’abondante
littérature scientifique sur le sujet. Il est tout à fait discutable que le rectorat
de l’Université de Genève assume d’augmenter la charge psychique,
psychologique et émotionnelle de la communauté étudiante alors même que
le contexte sanitaire reste préoccupant pour l’ensemble de la société civile.

Cinquièmement, il est troublant que le rectorat de l’Université de Genève
mette un tel dispositif de vidéosurveillance des contrôles de connaissances en
place alors même que nombre d’acteurs et actrices de la communauté
étudiante se sont mobilisés au semestre précédent pour dénoncer de telles
pratiques, notamment autour du logiciel espion TestWe à la faculté de la
GSEM (Geneva School of Economics and Management). Relevons par
ailleurs que l’utilisation de ce même logiciel, qui avait pourtant été décriée
par le PPDT au semestre précédent, en raison notamment du stockage des
données collectées sur les serveurs du géant du web Amazon, a été approuvée
par ce même PPDT ce semestre. Son utilisation est prévue pour le contrôle
des connaissances de ce semestre au sein de cette même faculté.

Ces divers éléments nous amènent aux questions suivantes :

  1. Au vu des dates de rédaction et de mise en ligne de ladite directive par le
    rectorat, le Conseil d’Etat accepte-t-il que celui-ci fasse l’impasse sur la
    consultation des organes démocratiques de l’Université prévus à cet
    effet, et prenne de telles décisions de manière unilatérale ?
  2. Le Conseil d’Etat trouve-t-il normal qu’aucune consultation des
    différents corps de l’Université (corps étudiant, corps intermédiaire ou
    CCER, corps du personnel administratif et technique) n’ait eu lieu à
    l’aube d’une décision aussi importante ?
  3. Le Conseil d’Etat accepte-t-il qu’une entité tombant sous son autorité se soustraie au droit fédéral et international en matière de protection des données numériques ?
  4. Le Conseil d’Etat concède-t-il que le rectorat de l’Université de Genève use de « zones grises » juridiques, spécifiquement liées au contexte sanitaire actuel, pour autoriser la mise en place de la vérification biométrique ?
  5. Le Conseil d’Etat trouve-t-il acceptable que le rectorat de l’Université de Genève envisage sa communauté étudiante comme de potentiels tricheurs et tricheuses, justifiant la mise en place de la vidéosurveillance des contrôles de connaissances, au détriment de la protection de la vie privée et des données numériques de chacune et chacun ?
  6. Le Conseil d’Etat tolère-t-il que le rectorat de l’Université de Genève, par ces mesures, fasse peser une charge psychologique, psychique et émotionnelle supplémentaire sur les épaules des étudiantes et étudiants alors que le contexte sanitaire actuel est déjà largement marqué par divers phénomènes de stress et d’angoisse ?

De manière plus générale :

7. La conseillère d’Etat chargée du département de l’instruction publique
a-t-elle été tenue informée de ces mesures et les a-t-elle acceptées en
amont de leur mise en application ?
8. Le Conseil d’Etat trouve-t-il que les mesures rectorales ci-dessus
présentées sont justifiées ?