Yves de Matteis

Question urgente écrite déposée par Yves de Matteis en janvier 2021

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: QUE 1460 A

Exposé de la question:

Au cours des dernières semaines, le Conseil d’Etat a été interpellé par
diverses lettres, courriers et autres démarches, relatives à l’expulsion prévue
de M. Tahir Tilmo via un « vol spécial » vers l’Ethiopie.

La presse s’est également fait l’écho de ces démarches et de la solidarité
qui a entouré cette personne jusqu’à son départ.

Ce mercredi 27 janvier 2021, malgré l’ensemble des démarches
entreprises, l’avis négatif du Comité contre la torture de l’Organisation des
Nations Unies, d’Amnesty International et d’autres organisations de lutte en
faveur des droits humains, un vol spécial organisé par l’agence européenne
Frontex est parti d’Allemagne, a fait escale à Genève puis à Athènes avant
d’atterrir à Addis-Abeba.

Tahir avait entamé une grève de la faim et de la soif depuis quelques jours
pour s’opposer à son départ, car il craint pour sa vie dans son pays d’origine.
Rappelons ici que ses deux parents avaient été emprisonnés et avaient subi
des tortures avant de décéder quelques jours plus tard de leurs blessures.

En raison de son état de santé, Tahir avait été transféré du centre de
détention administrative de Frambois vers les HUG, avant d’être embarqué
pour le terminal de l’aéroport, sous une forte escorte policière.

Les jours précédents, deux autres personnes ressortissant du même Etat
ont fait l’objet, dans le canton de Zurich, d’une décision de suspension de
renvoi.

On aurait donc pu s’attendre à ce que le Conseil d’Etat genevois intercède
courageusement en faveur de Tahir et renonce à collaborer à son renvoi, du
moins dans l’immédiat. Cela n’a malheureusement pas été le cas.

J’invite dès lors le Conseil d’Etat à répondre de manière précise aux
questions suivantes :

  • Quelle est la marge de manoeuvre du canton face aux décisions des
    autorités fédérales, notamment du SEM ?
  • Quelle est cette marge, plus précisément lors des différentes étapes entre
    Frambois, le transfert aux HUG, le séjour aux HUG et le transfert à
    l’aéroport ?
  • Qu’en est-il de l’application de l’article 69, alinéa 3, de la loi fédérale
    sur les étrangers et l’intégration ?
  • En ne renonçant pas, même provisoirement, à l’expulsion prévue,
    compte tenu de la situation instable en Ethiopie et de l’état de santé de
    l’intéressé, le Conseil d’Etat prend-il correctement ses responsabilités
    en tant que défenseur des droits humains ?
  • Est-il exact qu’aucun test COVID-19 des personnes expulsées n’a été
    effectué avant leur départ ?
  • S’agissant des personnes qui avaient manifesté leur soutien à Tahir
    Tilmo, peut-on vraiment parler de « rassemblement non autorisé »
    lorsque ces personnes, toutes masquées, se tenaient tranquilles et toutes
    à plus de 1,50 mètre les unes des autres dans l’espace public ? Pour
    quelle raison les « rassemblements » de personnes dans les gares et
    autres lieux fort fréquentés ne sont-ils pas dispersés par la police, en
    particulier lorsque ces personnes ne respectent pas la distance
    minimale ?
  • Le Conseil d’Etat peut-il chercher ou obtenir des informations sur la
    situation de Tahir Tilmo de retour dans son pays ou s’en
    désintéresse-t-il une fois son devoir de Confédéré accompli ?

Réponse du Conseil d’Etat

En préambule, le Conseil d’Etat souhaite préciser qu’il est conscient des
difficultés humaines et sociales que peuvent engendrer des renvois sous
contrainte de personnes étrangères, déboutées définitivement de leur demande
d’asile, en particulier lorsqu’il s’agit de cas humanitaires présentant des
vulnérabilités d’ordre médical ou familial avérées. Cependant, le Conseil d’Etat
rappelle que la politique d’asile relève de la compétence exclusive du
Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) et du Tribunal administratif fédéral
(TAF), et que les cantons ne disposent d’aucune alternative légale à leur
obligation d’exécuter les décisions de renvoi rendues par ces autorités. En
revanche, les autorités cantonales peuvent reporter l’exécution d’une décision
de renvoi lorsqu’elles l’ont elles-mêmes ordonnée dans le cadre de
l’application de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration, du 16 décembre
2005 (LEI; RS 142.20), ou dans le cas d’une expulsion ordonnée par les
autorités pénales.

S’agissant de la situation de Monsieur Tahir Tilmo, compte tenu de la grève
de la faim et de la soif qu’il a entamée à l’établissement de Frambois, l’intéressé
a été transféré aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) pour une
évaluation de sa santé, répondant ainsi à sa demande de consultation médicale
urgente. Concernant son transfert à l’aéroport, c’est la sortie des HUG qui a
décidé du plan horaire. La consultation terminée et l’état de l’intéressé ne
nécessitant pas une hospitalisation, il a donc quitté l’hôpital, toujours sous la
surveillance de deux agents. Si la personne concernée n’avait pas été transférée
aux HUG, la police l’aurait prise en charge à Frambois, en principe quelques
heures avant le départ du vol.

En complément, il convient de préciser qu’il incombe expressément aux
autorités fédérales de s’assurer que l’état de santé de la personne concernée,
ainsi que la situation générale prévalant dans le pays d’origine, demeurent
compatibles avec l’exécution dudit renvoi.

Ainsi, compte tenu de la situation de santé de Monsieur Tilmo, un médecin
de la société OSEARA SA, mandatée par le SEM, a réexaminé et confirmé son
aptitude au transport dans les heures précédant son embarquement dans
l’avion, en application de l’article 18 de l’ordonnance fédérale relative à
l’usage de la contrainte et de mesures policières dans les domaines relevant de
la compétence de la Confédération, du 12 novembre 2008 (OLUsC; RS 364.3).

En outre, toujours sur le plan sanitaire toutes les personnes renvoyées à
destination de l’Ethiopie le 27 janvier 2021 se sont vu offrir la possibilité
d’effectuer un test de dépistage de la COVID-19 gratuit, quelques jours avant
leur départ. Mais il est exact que certaines d’entre elles ont refusé de se soumettre à ce test. Dans de tels cas, le départ n’est pas annulé, mais ces
personnes doivent observer une quarantaine à leur arrivée dans le pays de
destination.

Concernant le suivi de la situation de Monsieur Tilmo, selon les autorités
fédérales, une personne de l’ambassade de Suisse en Ethiopie était présente à
l’aéroport, à l’arrivée de la personne considérée. S’agissant du contexte, il sied
d’indiquer que, selon les informations dont dispose le SEM et une
jurisprudence du TAF, cet Etat ne se trouve pas dans une situation de violence
généralisée. Toutefois, en raison de l’aggravation récente du conflit régional en
Ethiopie, le Conseil d’Etat s’est adressé au Conseil fédéral pour lui demander
de bien vouloir réévaluer la situation générale dans ce pays, sur la base des
informations factuelles les plus actualisées et, dans l’intervalle, de surseoir aux
renvois sous contrainte vers celui-ci.

Enfin, selon les mesures prises par le Conseil d’Etat en vue de lutter contre
l’épidémie en cours, les rassemblements de plus de 5 personnes étaient interdits
en date du 27 janvier 2021, indépendamment du fait que les personnes soient
masquées ou à plus de 1,50 m les unes des autres. A cet égard, l’intervention
des services de police s’est déroulée selon les principes de proportionnalité et
de légalité. La coercition n’a pas été employée pour régler la situation et le
dialogue a prévalu, tant devant l’établissement de Frambois que devant les
HUG.

En outre, la présence des personnes considérées sur ces sites avait
clairement pour objectif d’empêcher le renvoi prévu. Ainsi, ce rassemblement
ne saurait être assimilé à un déplacement spontané et non coordonné de
personnes dans une gare ou un lieu très fréquenté. S’agissant plus
particulièrement de ces lieux, le port du masque ainsi que la distanciation
sociale sont obligatoires, et des contrôles sont effectués, aussi bien par les
polices cantonale et municipales que par la police des transports.