Yves de Matteis

Motion déposée par Yves de Matteis en mars 2021

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: M 2640 B

Exposé des motifs:

En date du 5 mars 2021, le Grand Conseil a renvoyé au Conseil d’Etat
une motion qui a la teneur suivante :

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève
considérant :

  • qu’un médecin et homéopathe ayant pratiqué dans les cantons de Genève
    et de Vaud proposait de « guérir de l’homosexualité » grâce à ses
    thérapies, en 2018;
  • que, l’été dernier, un psychiatre proposait des thérapies de conversion
    remboursées par la LAMal dans le canton de Schwyz;
  • que ces cas ne sont pas isolés, puisqu’on estime que 14 000 personnes en
    Suisse sont concernées par les thérapies de conversion;
  • que les personnes qui les subissent sont susceptibles de souffrir
    durablement de dépression, de troubles anxieux et de la personnalité, de
    perte de libido et de risque accru de suicide;
  • que le Conseil fédéral s’est prononcé contre une motion visant à
    « interdire les “thérapies” ayant pour but de modifier l’orientation
    sexuelle des enfants et des adolescents », renvoyant la balle aux caisses
    maladie, responsables selon lui de vérifier chaque prestation;
  • qu’ailleurs en Europe et dans le monde, d’autres gouvernements font
    preuve de plus d’ambition, Malte et l’Autriche ayant opté pour une
    interdiction des thérapies de conversion, tandis que des projets similaires
    sont en cours, en France, en Espagne, en Norvège, en Belgique et au
    Royaume-Uni;
  • que l’Allemagne, voisine de notre pays, a, le jeudi 7 mai dernier, interdit
    sur l’ensemble de son territoire les « thérapies de conversion » destinées
    aux jeunes LGBT n’ayant pas encore atteint leur majorité, un signe très
    fort qui doit être pris en compte, et qui sera, on l’espère, bientôt imité par
    la Suisse;
  • qu’en Albanie, l’Ordre des psychologues a décidé d’interdire la pratique
    de ces soi-disant « thérapies de conversion » à l’ensemble des
    psychologues du pays;
  • que le Parlement européen dans sa résolution du 1er mars 2018 sur la
    situation des droits fondamentaux dans l’Union européenne en 2016
    (même si la Suisse n’est pas concernée) « se félicite des initiatives
    interdisant les thérapies de conversion pour les personnes LGBTI et la
    pathologisation des identités transsexuelles et prie instamment tous les
    Etats membres d’adopter des mesures similaires qui respectent et
    défendent le droit à l’identité de genre et l’expression de genre »;
  • que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et le
    Parlement européen font également pression sur les Etats pour qu’ils
    légifèrent en la matière;
  • que les cantons de Bâle-Ville et de Zurich ont également indiqué leur
    volonté d’agir contre ces thérapies de conversion;
  • que le canton de Genève, par le biais de plusieurs textes, s’est exprimé en
    faveur de la reconnaissance des droits des personnes LGBTIQ (M 2092,
    M 2303, M 2304, M 2491, M 2492, M 2493, M 2495 et PL 12378) et que
    la Marche des Fiertés pourrait à nouveau avoir lieu au bout du lac
    durant l’été de l’année prochaine;
  • que l’ILGA a publié, le 26 février dernier, un rapport intitulé « Réduire la
    tromperie – Une étude mondiale sur les restrictions légales des soi-disant
    “thérapies de conversion” », lequel fait le point sur les lois interdisant
    ces pratiques discréditées au niveau national et infranational3,

invite le Conseil d’Etat

  • à interdire toutes les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou
    l’identité de genre sur le territoire genevois;
  • à mettre sur pied un groupe de travail pluridisciplinaire (médicojuridico-
    socio-religieux), sur cette thématique, pour accompagner le
    Conseil d’Etat dans la rédaction d’un projet de loi, ou dans la
    modification des lois existantes, ou dans l’élaboration d’un règlement
    d’application;
  • à renoncer absolument, dans le cadre de la rédaction de tels textes, à
    distinguer majeurs et mineurs;
  • à s’assurer de l’existence d’espaces de reconstruction pour les personnes
    qui auront eu à subir de telles pratiques;
  • à prendre contact avec les autorités fédérales ainsi que celles d’autres
    cantons afin de faire en sorte que cette interdiction puisse s’étendre à
    l’ensemble du territoire suisse.

Réponse du Conseil d’Etat

De la motion 2640 à la motion 2640-A
Déposée le 17 mai 2020, la motion 2640 « Interdire les thérapies de
conversion dans le canton de Genève » a été traitée en séance du Grand
Conseil le 4 juin 2020 et renvoyée en commission des droits de l’Homme.

Le rapport de la commission des droits de l’Homme (M 2640-A) a été
déposé le 9 février 2021. Les travaux de la commission ont abouti à une
motion amendée (M 2640-A) avec un nouvel intitulé : « Interdire toutes les
pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre dans
le canton de Genève ».

En date du 5 mars 2021, le Grand Conseil a renvoyé au Conseil d’Etat la
motion 2640-A.

Contexte
L’homosexualité n’est pas une maladie et ne nécessite aucune thérapie.
Les thérapies contre l’homosexualité constituent une violation des devoirs
professionnels des médecins ou des psychologues. Dans un tel cas, l’autorité
de surveillance cantonale peut prononcer des mesures disciplinaires allant
jusqu’à l’interdiction définitive de pratiquer.

Les psychiatres américains avaient établi en 1948 une liste des maladies
mentales, le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders),
dans laquelle l’homosexualité était considérée comme une maladie
psychiatrique au même titre que la schizophrénie ou la dépression.
L’homosexualité a été supprimée de la classification américaine des maladies
mentales en 1987 tandis que la Classification Internationale des Maladies
(CIM) de l’OMS a conservé l’homosexualité comme diagnostic jusqu’en
1992. Jusqu`à cette date, diverses thérapies étaient proposées par les
médecins.

C’est dans ce contexte que des traitements psychologiques de
l’homosexualité sont apparus dans les années 1950 aux Etats-Unis pour tenter
de convertir les personnes concernées à l’hétérosexualité : ce sont les
thérapies de conversion ou thérapies de réorientation sexuelle.

Au niveau fédéral
Le 21 juin 2019, la motion 19.3840 « Interdiction de « guérir » les mineurs
homosexuels » a été déposée au Parlement fédéral. Son auteur y indique qu’il
existe encore aujourd’hui en Suisse des personnes prétendant pouvoir guérir l’homosexualité. Le 18 juin 2021, la motion a été classée, car le Conseil
national n’avait pas achevé son examen dans un délai de 2 ans.

Dans l’intervalle, soit le 4 septembre 2019, le Conseil fédéral a proposé de
rejeter la motion tout en rappelant que l’homosexualité n’est pas une maladie
et ne nécessite aucune thérapie, et que d’infliger un tel traitement peut avoir
un lourd impact psychique. Le Conseil fédéral condamne, en effet,
fermement de tels traitements mais refuse de légiférer sur la question. Il
confirme ainsi une première prise de position sur le sujet suite à
l’interpellation 16.3073 « Interdiction et punissabilité des thérapies visant à
« traiter » l’homosexualité chez des mineurs », liquidée le 17 juin 2016 par le
Conseil national.

De l’avis du Conseil fédéral, les thérapies contre l’homosexualité,
appliquées à des mineurs ou à des adultes, constituent une violation des
devoirs professionnels et doivent être signalées à l’autorité cantonale de
surveillance. Celle-ci peut alors prendre des mesures pouvant aller jusqu’au
retrait de l’autorisation de pratiquer. Les professionnels de la santé, qu’ils
soient médecins ou psychologues, sont en effet soumis à des lois qui règlent
leurs devoirs professionnels : la loi fédérale sur les professions médicales
universitaires, du 23 juin 2006 (LPMéd; RS 811.11), définit les devoirs
professionnels et sanctions similaires pour les psychiatres, tandis que la loi
fédérale sur les professions relevant du domaine de la psychologie, du 18
mars 2011 (LPsy; RS 935.81), règle les obligations professionnelles des
psychologues-psychothérapeutes.

En Allemagne
Un texte voté le 7 mai 2020 en Allemagne protège les mineurs de moins
de 18 ans. Toute personne faisant la publicité ou proposant ces programmes
de guérison s’expose désormais à 30 000 euros d’amende ou à un an de
prison. Les parents ou les tuteurs légaux qui forceraient leurs enfants à se
soumettre à ces programmes pourront aussi être poursuivis pour manquement
à leur devoir de protection.

Dans le canton de Vaud
En 2018, un médecin homéopathe proposait des thérapies de conversion
dans le canton de Vaud. Bien que titulaire d’un droit de pratiquer valable à
Genève jusqu’en 2017, il n’avait pas d’activité dans notre canton.

Le 2 mars 2021 a été déposée au Grand Conseil vaudois la « Motion
Julien Eggenberger – Pour l’interdiction des « thérapies de conversion » ». On
y lit que depuis le début des années 2000 apparaissent en Europe, sous l’impulsion d’associations chrétiennes intégristes, des programmes de
conversion. Suite aux mesures prises en Allemagne (interdiction des
thérapies de conversion pour les mineurs), les principales organisations les
pratiquant ont quitté ce pays pour s’établir en Suisse. Ainsi, et par exemple,
la Bruderschaft des Weges (« Confrérie du Chemin ») et l’Institut für
dialogische und identitätsstiftende Seelsorge und Beratung (« Institut de
pastorale et de conseil pour la restauration identitaire par le dialogue ») ont
annoncé leur enregistrement en tant qu’associations suisses au premier
semestre 2020.

Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC)
Selon les observations du CIC, un centre de compétences spécialisé sur la
diversité religieuse en Suisse romande et au Tessin, les thérapies de
conversion sexuelle visent à conseiller et à soutenir des personnes
homosexuelles dans une démarche de « restauration » vers l’hétérosexualité.
Elles sont proposées par certaines communautés ou associations chrétiennes,
qui sont proches des milieux évangéliques ou conservateurs. Elles ont émergé
dans les années 1980, notamment sous l’impulsion de la doctoresse Elizabeth
Moberly, une théologienne britannique dont la thèse explique
l’homosexualité comme conséquence de difficultés dans la relation parent enfant.

Il existe à ce jour peu de données qui permettent d’évaluer l’ampleur de
cette pratique. Certaines communautés religieuses tiennent des discours
décrivant l’homosexualité comme une déviance sur la base d’interprétations
strictes de textes fondateurs. Cependant, elles ne mettent pas pour autant en
place des thérapies de conversion sexuelle.

Enfin le CIC relève qu’en répondant à la motion qui propose
« l’interdiction de guérir les mineurs homosexuels », le Conseil fédéral n’a
pas abordé ces thérapies dans les milieux religieux mais uniquement dans les
domaines médicaux et psychiatriques.

Conclusion
L’homosexualité n’est pas une maladie et ne nécessite aucune thérapie.
Pourtant, il existe encore aujourd’hui en Suisse des personnes prétendant
pouvoir guérir l’homosexualité et qui proposent des thérapies de conversion
ou thérapies de réorientation sexuelle.

Le Conseil fédéral condamne fermement les thérapies de conversion,
mais n’entend pas légiférer sur la question. C’est ainsi qu’en septembre 2019, il propose de rejeter la motion 19.3840 « Interdiction de « guérir » les mineurs
homosexuels » déposée le 21 juin 2019.

Depuis lors, le fait que l’Allemagne ait adopté le 7 mai 2020 un texte légal
sur l’interdiction des thérapies de conversion pour les mineurs a eu pour
conséquence de déplacer vers la Suisse les principales organisations les
pratiquant. Et, le 2 mars 2021, a été déposée au Grand Conseil vaudois la
« Motion Julien Eggenberger – Pour l’interdiction des « thérapies de
conversion » ».

Pour ces motifs, le Conseil d’Etat approuve la motion amendée 2640-A
« Interdire toutes les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou
l’identité de genre dans le canton de Genève ».

Le Conseil d’Etat entend rédiger un projet de loi pour instaurer
l’interdiction de toutes les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou
l’identité de genre dans le canton de Genève. Par ailleurs, le Conseil d’Etat
s’assurera de l’existence d’espaces de reconstruction pour les personnes qui
auront eu à subir de telles pratiques. Il adressera un courrier aux autorités
fédérales ainsi qu’à celles d’autres cantons afin de faire en sorte que cette
interdiction puisse s’étendre à l’ensemble du territoire suisse.