Soigner la Terre… « Dans un litre d’essence, il y a la même énergie que dans dix jours de travail d’une personne qui utilise ses jambes et cent jours d’une personne qui utilise ses bras ». Cette citation résume bien le constat que tire Laurent Guidetti, de Tribu architecture, dans la présentation de son « Manifeste pour une révolution territoriale ». Cette conférence-discussion avec le GT Aménagement & Urbanisme a permis de partager un diagnostic écologique et d’évoquer les réponses possibles à la situation environnementale, économique et sociale qui nous préoccupe.

On retrouve de manière récurrente les problématiques de la mobilité et de la consommation énergétique, avec en arrière fond la divergence sur la question de la densité comme vecteur de déséquilibre dans l’organisation de l’espace urbain. L’intervenant en appelle à une « écologie sans transition ». Question qu’il faudra reprendre. Les éléments du Manifeste sont pertinents et graves, et méritent d’y porter attention. Peut-être dans le cadre des Assises des Vert-e-s Genevois-es sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme, qui se tiendront cet automne ?

La densité questionnée

Tant la concentration que l’extension urbaine ont toujours provoqué un certain nombre de craintes, accentuées aujourd’hui par le réchauffement climatique et la crise sanitaire. Cependant, la référence à la Charte d’Athènes, qui a fondé nos villes du XXe siècle, nécessite une profonde remise en cause. Si celle-ci conserve le mérite des améliorations fonctionnelles et hygiénistes, correspondant à l’esprit de croissance des Trente Glorieuses et à des extensions sans précédent (péri-urbain), elle a aussi conduit à « mordre » gravement les espaces naturels et agricoles. La construction de la ville en hauteur vient encore renforcer cette course à la densification, découlant des mécanismes de concurrence et du libre marché, qui ont largement amplifié les programmes d’urbanisation. Cela renvoie bien évidemment à nos interrogations sur quelle forme de croissance, dans une situation de finitude écologique évidente. A Genève, la Vieille Ville a une densité (IUS 3.1) qui est supérieure à celle fixée dans les quartiers du projet Praille-Acacias-Vernets (la Loi PAV : IUS 2.6 à 3.0). On trouve également les modèles de la Ceinture Fazyste des quartiers du XIXe siècle, dont les densités oscillent entre 2 et 2.5. Reste le cas significatif entre la Cité sarde du XVIIIe siècle et le quartier des Tours à Carouge, nées au siècle de la modernité, où les deux densités (IUS 1.2) sont identiques, mais avec deux morphologies d’urbanisation très contrastées. Faut-il le rappeler, notre canton est le plus dense de Suisse, mais il a su préserver ses espaces naturels et agricoles dès 1952. Aujourd’hui la donne a changé, du fait de la dimension métropolitaine et transfrontalière du Grand Genève. Les nouvelles densités pratiquées durant cette dernière décennie semble bien être le problème, car elle produisent des morphologies passablement controversées.

Pour une écologie de la mesure

Penser une urbanisation humaine, c’est introduire une ville de courtes distances, une ville de proximité et, peut-être un jour, une ville-paysage. On peut imaginer que le mot intensité – et non densité – pourra répondre au besoin de qualité vivement attendu dans la relation de la communauté urbaine et rurale. En ce qui me concerne, j’imagine une ville plus en « tapis » d’un gabarit à une échelle maîtrisée, qui accorde au plan logement une grande valeur, avec des espaces de respiration tels des patios, cour ou parc-square. Dans la contiguïté des édifices des centres historiques, il y a une économie de l’emprise au sol qui ré-interroge cette question de la densité. Si le sol des villes est au cœur du projet urbain, il est aussi à l’origine de l’empreinte humaine (ère Anthropocène). De manière prospective, il me semble que ce constat devrait conduire vers de nouvelles pratiques, en mettant davantage le projet de paysage comme préalable à l’urbanisation. C’est en tout cas l’un des postulat clairement affirmé dans le Projet de paysage des deux première générations du projet d’agglomération (2008 et 2012). On espère alors que la révision du Plan directeur cantonal favorisera la recherche d’alliances inédites entre le monde des connaissances, des sciences, des arts, de l’agriculture, et la sphère politique. Comme on attend impatiemment une Conception cantonale du paysage – qui devrait faire écho au Plan Climat – deux outils capables de réguler par anticipation, le dessin régional du projet urbain et territorial.

Marcellin Barthassat, architecte et urbaniste

Co-responsable du GT Aménagement et Urbanisme