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INTERVIEW I Antonio Hodgers

«La ville dense est le seul moyen de faire de l’urbanisme écologique»

 

Le canton de Genève a adopté le 2 décembre 2020 le Plan directeur  de l’énergie (PDE) 2020-2030, qui pose les jalons pour atteindre les objectifs énergétiques cantonaux. Rencontre avec Antonio Hodgers (Les Verts), conseiller d’Etat chargé du Département du territoire.

 

PROPOS RECUEILLIS PAR JOËLLE LORETAN

Le canton de Genève a mis à jour son Plan directeur de l’énergie. En 69 pages, les autorités traduisent leur vision de l’avenir du territoire et identifient les projets à réaliser afin d’atteindre en 2050 une société à 2000 watts, sans nucléaire. Les ambitions impliquent, entre autres, de diviser par 3,5 la consommation d’énergie par personne dans les trente prochaines années, tout en multipliant par 3 la part des renouvelables, de réduire de 60% les émissions de gaz à effet de serre et d’atteindre un taux de rénovation du parc bâti de 4% par an (il est inférieur à 1% par an actuellement). Le menu est copieux! On passe à table avec Antonio Hodgers, engagé pour l’écologie politique depuis ses 17 ans, soit plus de la moitié de sa vie. Pour ce père de deux enfants, il est impératif d’assumer nos responsabilités aujourd’hui, afin de laisser aux générations suivantes, qui nous regardent déjà, une société libérée des énergies fossiles.

 

Le canton de Genève a adopté son nouveau Plan directeur de l’énergie (PDE). Qu’a-t-il de nouveau par rapport aux précédents?

Il est fondamentalement plus ambitieux et engage le canton sur une diminution drastique de ses dépendances aux énergies fossiles. Ce qui m’intéresse également avec ce Plan directeur, c’est de montrer que même s’il est résolument marqué par la transition climatique, il ne suggère pas un arrêt de la société et de l’économie, mais bien une transformation. Je souhaite un projet de société perçu comme enviable, et non comme angoissant. Greta Thunberg disait «I want you to panic». Je préfère «I want you to smile» et proposer une économie du partage, du temps libre et d’un détachement du matérialisme.

 

Si le PDE donne la direction, quand et par qui seront fixées les échéances? Et si les objectifs ne sont pas atteints, des sanctions sont-elles prévues?

Le Conseil d’Etat se basera sur les fiches qu’on retrouve dans le PDE pour modifier le règlement sur l’énergie. Les outils vont se mettre en place. Le 17 mars dernier par exemple, des projets de lois liés aux réseaux structurants de l’énergie ont déjà été adoptés par le Conseil d’Etat. Concrètement, je propose de modifier la Constitution genevoise pour donner à SIG la responsabilité monopolistique d’installer les autoroutes du chaud et du froid afin de sortir de la dépendance au pétrole. Quant aux sanctions pour les objectifs non atteints, elles peuvent être légales, notamment en matière de rénovation du parc bâti. Depuis la dernière législature, et pour la première fois de l’histoire de la République et Canton de Genève, des inspecteurs de l’énergie sont assermentés pour amender les propriétaires immobiliers en cas d’infractions. Jusqu’alors, il y avait des recommandations; aujourd’hui, il s’agit d’obligations légales. Si les subventions servaient de carottes, on dispose aujourd’hui du bâton des «policiers de l’énergie».

 

Le PDE est très ambitieux. Trop?

On ne peut pas décréter l’urgence climatique, signer l’Accord de Paris et ne pas mettre les outils en adéquation pour atteindre les objectifs sur lesquels la Suisse s’engage. Maintenant, est-ce qu’il est faisable? C’est une question de choix et de volonté politique. Il y a un idéal, c’est vrai, mais je pense qu’il est réaliste pour deux bonnes raisons: rien n’est techniquement irréalisable et le volet énergétique ne demande pas de grands changements au niveau des comportements citoyens.

Justement, les comportements jouent un rôle essentiel dans la transition énergétique.

«On ne peut pas décréter l’urgence climatique, signer l’Accord de Paris et ne pas mettre les outils en adéquation pour atteindre les objectifs sur lesquels la Suisse s’engage.»

Justement, les comportements jouent un rôle essentiel dans la transition énergétique. Comment influer sur les mentalités?

Dans le domaine de l’énergie, il s’agit surtout d’investissements financiers et de déploiement d’infrastructures, mais pas de changement fondamental des comportements et usages. Les questions d’alimentation, de consommation ou encore de mobilité ont sans aucun doute des répercussions plus fortes sur le quotidien des citoyens. Dans ces domaines qui touchent aux libertés individuelles, il est difficile pour les pouvoirs publics d’intervenir.

 

Et pourtant, on voit aujourd’hui avec la crise sanitaire que l’Etat peut jouer un rôle rapide, fort et impactant sur les comportements et les libertés individuelles…

Imposer des mesures à long terme n’est pas la même chose que d’appliquer des mesures ponctuelles et conjoncturelles en situation de pandémie mondiale. Cette dernière année a justement montré que les gens sont d’accord pour serrer les dents et appliquer des décisions fortes et brutales, mais pour quelques mois seulement. Pour preuve, la différence des comportements entre le début de la pandémie, où tout le monde était discipliné et solidaire, et aujourd’hui, où un ras-le-bol s’est installé. Au début de la pandémie, l’Etat démocratique a même été suspendu au profit d’un gouvernement qui prenait des décisions extraordinaires. Ce n’est pas un état démocratique souhaitable sur la durée; or, la transition écologique, c’est l’engagement d’une ou deux générations.

Dans le PDE, on évoque la création d’un campus dédié à la sobriété et à l’efficacité énergétique. De quoi s’agit-il?

Contrairement à ce qu’on pourrait comprendre, ce campus est une démarche, et non un bâtiment, pour valoriser les entités de formation professionnelle et académique, sans oublier la formation de base, qui doivent œuvrer pour la connaissance de la transition énergétique. Constitué sous forme de réseau, ce pôle énergie, qui réunit l’Université de Genève, l’Hepia, les Services industriels de Genève et l’Office cantonal de l’énergie, permettra d’améliorer les compétences métier et d’augmenter ainsi l’employabilité des personnes issues des filières de formation spécifiques. Un autre volet consistera à assurer un lien entre les milieux académiques et la société civile en mettant à disposition les résultats de la recherche scientifique de manière pédagogique.

 

Quels sont les atouts de Genève en matière de transition énergétique?

Genève est un canton relativement dense et compact, ce qui permet le déploiement d’un des grands potentiels de la transition énergétique, les réseaux thermiques. L’approche ne serait techniquement et économiquement pas viable dans les zones villas, par exemple. Le fait d’être dans l’urbanité permet l’écologie et les gains énergétiques et je suis persuadé que la transition écologique ne sera possible qu’avec des villes compactes. Toute organisation territoriale qui tend à l’étalement urbain rendra impossible la neutralité carbone.

«Toute organisation territoriale qui tend à l’étalement urbain rendra impossible la neutralité carbone.»

La notion de densité est souvent critiquée, elle ne plaît pas à tout le monde. Que répondez-vous à ses détracteurs?

Que la ville, c’est la densité. S’il n’y a pas de densité, ce n’est pas une ville. Et viser la neutralité carbone implique des villes avec de courtes distances, où on habite, où on va à l’école ou au travail à pied, à vélo, en transports publics, où les activités (loisirs et achats) se font dans le quartier. Mais si la ville doit être fonctionnelle, je la souhaite aussi végétale, agréable et enviable. Si les jeunes quittent la périphérie pour rejoindre la ville, c’est parce qu’on y trouve des opportunités de formation, de travail et de culture. Traditionnellement, les villes sont des lieux de rencontre, d’émancipation et de créativité, et j’aimerais qu’elles soient perçues ainsi également. Je tiens compte des critiques entendues, sans toutefois remettre en cause la notion de ville et de densité. La ville dense est le seul moyen de faire de l’urbanisme écologique.

Et le caillou dans la chaussure de Genève en matière de transition énergétique?

Il est peut-être plus au niveau politique, ou au niveau de certains milieux économiques conservateurs qui pensent que l’économie d’hier, basée sur les énergies fossiles, doit perdurer. Il vient aussi de ceux qui font rimer transition écologique avec inconfort et austérité.

 

Il y en a encore qui pensent, en toute bonne foi, que l’avenir est aux énergies fossiles?

Bien sûr, beaucoup. Mais on touche à des intérêts financiers. Dans les organisations économiques partenaires de la transition, les membres qui vendent du mazout, par exemple, auront tendance à défendre le statu quo. Pourtant, une nouvelle économie privée doit émerger. Si le rôle de l’Etat est d’investir dans les infrastructures, l’essentiel de la transition écologique se fait par le privé. C’est d’ailleurs essentiellement grâce aux entreprises que Genève a pu diminuer de 30% sa consommation d’énergie fossile ces trente dernières années, tout en restant prospère et dynamique.

 

Et de quelles retenues politiques parlez-vous?

Les raisons sont sensiblement les mêmes, avec des relais politiques de ces intérêts économiques sectoriels. Il y a des réticences financières et peut-être également un conservatisme ambiant.

 

«C’est essentiellement grâce aux entreprises que Genève a pu diminuer de 30% sa consommation d’énergie fossile ces trente dernières années, tout en restant prospère et dynamique.»

Vous parlez d’une relance verte de l’économie privée. Quelles sont les mesures prévues? Et l’Etat, qui doit soutenir une économie frappée par la crise sanitaire, a-t-il les moyens de ses ambitions?

Cette question devra être précisée par le Conseil d’Etat ces prochains mois. Il s’agira concrètement d’augmenter les investissements en matière de transition écologique qui concernent notamment les infrastructures de mobilité, mais aussi la rénovation des bâtiments. Quoi qu’il en soit, cette transition constitue une opportunité économique évidente. Pour prendre un peu de hauteur, deux défis fondamentaux opèrent simultanément à l’échelle planétaire: le climat et le numérique. Ce dernier est un vecteur de délocalisation des emplois et de baisse des recettes fiscales. A l’inverse, le défi climatique est un puissant catalyseur de l’économie locale, qui renforce les circuits courts. Pour rénover des bâtiments et installer des panneaux solaires, par exemple, il faut une main-d’œuvre qualifiée et de proximité. C’est-à-dire de la valeur ajoutée, des formations pointues, des salaires et des recettes fiscales. Le tout localisé. En défendant la transition écologique, je défends les milieux économiques du futur qui sont convaincus des bienfaits d’un modèle durable pour leur entreprise et la planète.

 

Y a-t-il une question que vous en avez assez qu’on vous pose?

Je pense plutôt à une propension politique et médiatique à poser les termes du débat de manière émotionnelle, ne permettant pas une discussion démocratique et saine. Prenez les questions de densité et d’urbanisme que nous évoquions: on doit être capable de discuter des avantages et inconvénients de chaque approche, en dépassant les a priori personnels. La démocratie, c’est la gouvernance par le dialogue. Chaque fois qu’un journaliste ou un politique portant une responsabilité accrue en matière de démocratie joue avec l’émotionnel et le sensationnalisme, c’est une atteinte au pacte démocratique.

 

Le mot de la fin vous revient…

Je souhaite que les acteurs publics et privés comprennent l’importance d’investir massivement dans le tournant énergétique, qui demandera des investissements financiers et impactera l’activité économique. Mais les énergies fossiles vont se raréfier et les enjeux climatiques s’intensifier. Lorsque nous atteindrons les fameuses dates (Protocole de Kyoto 2030, Stratégie énergétique 2050), nos enfants seront adultes et devront alors assumer les sociétés qu’on leur prépare. Ce qu’on entreprend aujourd’hui n’est pas pour un futur lointain, mais pour demain, pour nos enfants déjà nés aujourd’hui, et cette dimension est extrêmement concrète.

Bio express

 

DES RACINES…

Antonio Hodgers est né en 1976 à Buenos Aires (Argentine), d’un père avocat et d’une mère danseuse et chorégraphe, tous deux opposants à la dictature militaire alors en place. Son père fait partie des «desaparecidos» (les opposants disparus) et sa mère est membre active du Parti révolutionnaire des travailleurs PRT, qui mène une lutte armée contre le régime. Antonio Hodgers rejoint la Suisse en 1981, avec sa sœur et sa mère, après avoir transité par l’Italie et le Mexique. Il obtient le statut de réfugié politique en 1983 et est naturalisé suisse en 1990.

 

… ET DES AILES

Entre 1993 et 1996, il siège au Parlement des jeunes de Meyrin et s’engage notamment pour les droits politiques des étrangers au niveau communal. En 1997, il adhère au parti Les Verts. Il obtient ensuite son diplôme d’études supérieures en développement et sa licence en relations internationales à l’Institut de hautes études internationales et du développement et se frotte à l’entrepreneuriat avant de se consacrer à la vie politique genevoise. Depuis 2013, il est conseiller d’Etat. Il est marié et père de deux enfants.