Motion cosignée par les Vert.e.s déposée en janvier 2021

Texte complet: M 2727

Depuis un peu plus d’une semaine, le personnel de Swissport, société d’assistance au sol active sur le site aéroportuaire de Genève, se mobilise avec l’appui de trois syndicats (SEV, SSP, Avenir syndical) pour dénoncer la dégradation programmée et massive de ses conditions de travail et salariales sur la plateforme de Genève Aéroport.

Ces mobilisations s’inscrivent dans le sillage d’un bras de fer engagé de longue date avec la direction de Swissport autour de la renégociation de la convention collective de travail (CCT) de l’entreprise. Les conflits entre les partenaires de la CCT sont réguliers et révèlent, année après année, une tension croissante entre employé-es et direction, à mesure que cette dernière tente de réviser à la baisse les conditions salariales et de travail des premier-es. On se souvient par exemple des mouvements de grève et actions de débrayage qui avaient pris place en 2010 pour dénoncer une dégradation des conditions de travail sur la plateforme en lien avec la mise en concurrence de plus en plus intense entre les entreprises qui y opèrent. Si un protocole d’accord avait finalement pu être trouvé, cela avait nécessité l’intervention du Conseil d’Etat (en la personne de M. Longchamp) après qu’une tentative de conciliation devant la Chambre des relations collectives de travail (CRCT) avait échoué. Cinq ans plus tard, un même scénario se rejouait, ainsi qu’un an plus tard à la fin 2016.

C’est à la lumière de cet historique que doit être appréhendé le conflit qui oppose aujourd’hui les salarié-es de Swissport à leur direction et qui semble être arrivé à son apogée avec l’envoi par la direction, au début du mois de janvier 2021, de nouveaux contrats de travail aux employé-es du site genevois. Ces nouveaux contrats prévoient une dégradation conséquente et généralisée des conditions salariales et de travail à compter du 1er juin prochain. Le procédé s’apparente de surcroît à un congé-modification puisqu’un délai au 28 janvier a été donné aux employé-es pour signer ces contrats, faute de quoi ils et elles s’exposent à un licenciement. Ce passage en force de la direction intervient après que les négociations entamées en 2018 autour du renouvellement des deux CCT ont échoué, laissant un vide conventionnel depuis le 30 septembre 2020, date d’échéance de ladite CCT. Il sied de relever que la CRCT avait une nouvelle fois été saisie – en vain – à des fins de conciliation et avait notamment recommandé, dans un avis rendu en octobre 2020, la conclusion d’une ou de plusieurs nouvelles CCT.

Cette nouvelle et dernière attaque en date des conditions de travail des employé-es de Swissport est particulièrement violente et sans commune mesure avec les précédentes tentatives de la direction. Les baisses de salaires sont en effet massives, de plusieurs centaines de francs par mois, certain-es employé-es perdant jusqu’à un quart de leur revenu et 1200 francs par mois. A cela s’ajoute une hausse de la part employé-e dans les cotisations LPP. Les conditions de travail, déjà difficiles d’ordinaire (horaires irréguliers, travail nocturne, pénibilité physique, contrats précaires, exposition aux conditions climatiques, etc.) se sont par ailleurs durcies, avec notamment un allongement de la durée de travail hebdomadaire (de 40 à 41,5 heures), une baisse du nombre de jours de congé et la suppression du plafond horaire pour les auxiliaires, ce qui permettra dès lors à l’employeur de diminuer drastiquement son personnel fixe et de pratiquer une précarisation généralisée des engagements à l’aéroport. Finalement, il faut préciser que ces adaptations ne sont pas limitées dans le temps, mais sont au contraire vouées à être pérennisées.

Ces nouvelles dispositions, transcrites dans les contrats soumis au personnel de Swissport au début de cette année, représentent une grave atteinte aux acquis et sont naturellement inacceptables pour les employé-es. A l’occasion des dernières mobilisations, plusieurs d’entre elles et eux ont exprimé leurs craintes et leur colère, indiquant clairement qu’ils et elles ne pourraient pas subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille avec des salaires aussi faibles que ceux qui leur sont imposés dans ces nouveaux contrats. Il faut dire que la grille salariale en vigueur dans l’entreprise montre des salaires extrêmement modestes, allant aujourd’hui de 4006 à 6408 francs pour le personnel fixe. La « nouvelle » grille de salaires pour les fixes démarrerait à 3818 francs et baisserait les plafonds pour toutes les fonctions concernées de plusieurs centaines de francs.

Coïncidence malvenue, l’annonce de cette baisse intervient quelques mois seulement après le succès en votation de l’introduction d’un salaire minimum cantonal, votation faisant date et à l’occasion de laquelle les Genevoises et Genevois ont clairement exprimé leur refus plus large de la sous-enchère salariale à laquelle se livrent un certain nombre d’entreprises installées sur le canton, dont Swissport fait manifestement partie.

A l’évidence, les salaires offerts par Swissport à son personnel ne permettent pas de vivre décemment à Genève, où le coût de la vie est notoirement élevé. C’est là une situation qui n’est pas tolérable, a fortiori dans le contexte de crise économique mais aussi sociale que nous connaissons. Un point de vue qui semble du reste partagé – et cela est heureux – par notre magistrat chargé de l’emploi, M. Mauro Poggia, qui déclarait il y a quelques jours dans la presse : « le Canton doit, plus que jamais, s’engager pour la préservation des emplois et s’assurer que les conditions salariales ne soient pas détériorées au point de précariser des salariés qui ne pourraient plus, tout en travaillant à plein temps, assumer la couverture des charges d’une vie décente. » M. Poggia a par ailleurs d’ores et déjà rencontré les parties en conflit, à savoir les représentant-es du personnel de Swissport et des syndicats le jeudi 14 janvier 2021 et des membres de la direction ce lundi 18 janvier. Si les auteur-es de la présente motion saluent la démarche initiée par le Conseil d’Etat, il est nécessaire de la poursuivre et d’intensifier les efforts entrepris afin de rouvrir au plus vite les négociations et de rétablir le dialogue social chez Swissport.

En particulier, le délai fixé unilatéralement par la direction au 28 janvier 2021 pour l’acceptation des nouveaux contrats ne laisse absolument aucune marge aux partenaires pour reprendre les négociations et doit impérativement être levé. Les nouveaux contrats valant congés-modifications doivent également être renégociés entre les parties, les propositions de la direction n’étant en l’état simplement pas acceptables tant elles sapent les acquis conventionnels du personnel, exigent de ce dernier des sacrifices démesurés et compromettent l’autonomie financière d’un grand nombre de personnes. A cet égard, il apparaît primordial que les CCT puissent être rétablies au plus vite, de manière à fournir un cadre à l’intérieur duquel les négociations quant aux adaptations contractuelles pourront le cas échéant reprendre.

Ces CCT devront notamment garantir des salaires décents à l’ensemble du personnel de Swissport, fixe comme auxiliaire, qui soient adaptés au coût de la vie à Genève.
Les signataires de la motion précisent encore que, Swissport étant au bénéfice d’une concession de l’Etat de Genève, ce dernier a latitude pour imposer un certain nombre d’éléments relativement aux conditions salariales et de travail dans l’entreprise si cela devait s’avérer nécessaire, c’est-à-dire dans le cas où la direction persisterait dans son refus de revenir sur les dégradations majeures décidées unilatéralement.

Finalement, il importe de rappeler quelques faits. Certes, il est indéniable que la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a eu (et continue d’avoir) des répercussions extrêmement lourdes sur les entreprises actives dans le secteur du transport aérien. Avec des avions cloués au sol durant de très longs mois, les pertes sont sans conteste conséquentes pour l’ensemble de la chaîne des acteurs économiques qui gravitent autour et dépendent de ce secteur, de l’industrie aéronautique (civile) jusqu’aux commerces situés sur les plateformes aéroportuaires, en passant par les sociétés de services actives dans l’aviation commerciale. Ceci étant, toutes les entreprises n’ont pas les mêmes ressources pour faire face à cette crise inédite, et on peut raisonnablement dire de Swissport qu’elle fait partie de celles qui ont « les reins plutôt solides ». Société rachetée récemment par des fonds d’investissement américains et britanniques, active sur cinq continents et dans plus de 50 pays, elle enregistrait encore en 2017 et 2019, un chiffre d’affaires de respectivement 2,8 et 3,13 milliards d’euros5. Il n’est pas non plus inutile de relever que l’entreprise signait encore récemment des contrats d’importance, comme avec le groupe Lufthansa fin décembre 2020 (contrat de 7 ans) ou encore avec le groupe Air France-KLM (contrat de 5 ans) la semaine dernière, jeudi 14 janvier 2021.

Surtout, Swissport, comme tant d’autres, a pu bénéficier dès le début de la crise en avril 2020 – et bénéfice encore à ce jour – des mesures liées à la réduction de l’horaire de travail (RHT). Grâce à ces dernières, les salaires de la très grande majorité (80%) des employé-es en Suisse sont pris en charge par l’Etat depuis cette date. Or, des dires mêmes de son directeur, M. Antoine Gervais, « les salaires représentent 80% de[s] coûts [de l’entreprise] ». Force est d’en déduire que si les recettes de la société ont plongé depuis le début de la crise il y a un peu moins d’un an, ses charges ont elles aussi été largement allégées. Par ailleurs, il est intéressant de relever qu’à Zurich, où les pertes enregistrées depuis le début de la crise s’élèvent pourtant à « plus du double » de celles du site genevois, un accord a pu être trouvé en décembre dernier qui préserve bien davantage les conditions salariales et de travail des employé-es (réductions de salaires de « seulement » 150 francs par mois en moyenne et surtout limitées à la durée de la crise).

Ces éléments à l’esprit, et compte tenu des attaques répétées de la direction de Swissport depuis de nombreuses années contre les salaires et conditions de travail de son personnel à Genève, il apparaît de plus en plus évident que la crise actuelle n’est pas le seul motif de la direction pour passer en force et imposer durablement ses conditions – profitant en outre d’avoir les mains complètement libres en raison du vide conventionnel qui prévaut depuis le 1er octobre 2020.

La situation comme le procédé utilisé choquent. Il est impératif que le Conseil d’Etat intervienne pour faire respecter les termes du partenariat social et protéger les employé-es de Swissport face à la très forte et inacceptable précarisation à laquelle ils et elles sont aujourd’hui exposé-es.