Didier Bonny

Question urgente écrite déposée par Didier Bonny en août 2022

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: QUE 1769 A 

Exposé de la question:

Depuis quelques semaines, le nombre de personnes atteintes de la variole
du singe est en augmentation constante en Suisse. Selon l’infectiologue
Alexandra Calmy, la Suisse est même le 6e pays le plus affecté par million
d’habitants.

Récemment, plusieurs communiqués et articles de presse ont rappelé
l’urgence d’agir. Il paraît important de rappeler qu’aucun virus ne cible un
groupe de personnes en particulier. Il peut infecter toute personne ayant un
contact étroit avec une personne porteuse. Il est par conséquent nécessaire de
mettre en place des mesures sanitaires pour prévenir la propagation du virus
et en monitorer l’évolution, notamment auprès des catégories de la
population les plus touchées.

Dans ce but, des mesures pour le dépistage précoce pour les personnes
potentiellement exposées qui le demandent et la prise en charge des patients
infectés doivent être prises. Suite à la décision du Conseil fédéral d’acheter
un certain nombre de doses de vaccin contre la variole, une campagne de
vaccination avec des critères clairs et non intrusifs d’accès au vaccin doit être
mise en place.

Vu ce qui précède, mes questions au Conseil d’Etat, que je remercie
d’avance pour ses réponses, sont les suivantes :

  1. Quelle politique l’Etat de Genève a-t-il prévu de mettre en place pour le
    dépistage, notamment concernant sa gratuité et son accessibilité, y
    compris pour les personnes asymptomatiques potentiellement exposées
    étant donné que la prévalence réelle et une potentielle transmission
    asymptomatique (et donc l’impact de celle-ci sur la dynamique
    épidémiologique) ne sont pas connues à ce jour ?
  2. Une politique de recommandation de dépistage en fonction de situations
    précises, comme pour les IST, ne serait-elle pas pertinente, en tout cas
    dans un premier temps ?
  3. Suite à la récente décision du Conseil fédéral d’acquérir un certain
    nombre de doses de vaccin, le canton a-t-il déjà planifié sa campagne de
    vaccination (promotion en priorité auprès des personnes les plus
    exposées, processus d’accès permettant d’éviter le risque de « outing »
    en procédant à la vaccination dans des lieux qui s’y prêtent, en évitant
    des délais d’attente trop longs ou encore des questionnaires trop
    intrusifs qui pourraient amener des personnes à renoncer à se faire
    vacciner ou dépister) ?
  4. Quels sont les critères d’éligibilité envisagés et les éventuelles
    priorisations si le nombre de vaccins était insuffisant pour répondre à la
    demande ?
  5. En cas de nombre insuffisant de doses de vaccin attribuées à Genève, et
    si des doses de vaccin devaient être disponibles en France voisine, est-ce
    que le canton serait en mesure de trouver un accord sanitaire
    transfrontalier pour faciliter l’accès au vaccin ?
  6. Comment la prise en charge des patients se passe-t-elle à ce jour d’un
    point de vue :
    – médical : accès au dépistage pour confirmer l’infection
    (monitorage) et accès au traitement antiviral ?
    – de santé publique : l’isolement et le tracing sont-ils possibles sans
    « outing » ? Que l’Etat de Genève a-t-il mis en place pour réduire ce
    risque ?
    – financier : une aide aux personnes précarisées par l’isolement sur
    décision cantonale (par exemple les indépendants, y compris les
    travailleuses et travailleurs du sexe) est-elle prévue étant donné que
    des personnes pourraient renoncer au dépistage par peur des
    incidences financières liées à l’isolement ?

Réponse du Conseil d’Etat

  • Quelle politique l’Etat de Genève a-t-il prévu de mettre en place pour le dépistage, notamment concernant sa gratuité et son accessibilité, y compris pour les personnes asymptomatiques potentiellement exposées étant donné que la prévalence réelle et une potentielle transmission asymptomatique (et donc l’impact de celle-ci sur la dynamique épidémiologique) ne sont pas connues à ce jour ?

On observe, au niveau international et en Suisse, une stabilisation voire un déclin de la dynamique de transmission depuis quelques semaines.
Parmi les outils à disposition des autorités sanitaires pour la gestion de l’actuelle épidémie de variole du singe, le dépistage revêt une importance tout à fait essentielle. Tout est mis en place pour en faire la promotion et en faciliter l’accès. La prévention passe par la diffusion à la fois large et ciblée d’une information adaptée (à la population générale et aux personnes ayant des pratiques à risque en particulier). La direction générale de la santé (DGS), soit pour elle le service du médecin cantonal (SMC) a privilégié d’une part la multiplication des canaux (site internet, affiches, FAQ, messages WhatsApp, information aux médias) et d’autre part une collaboration étroite avec les partenaires associatifs sur le terrain, qui sont au contact des populations ayant des pratiques à risque. Ce tissu associatif est non seulement le relais de nos recommandations, mais aussi une source d’information concernant les pratiques ou les usages linguistiques et sociologiques (orientations et identités sexuelles et non-stigmatisation des personnes concernées). La facilitation de l’accès au test se fait principalement par la mise à disposition d’une offre suffisante et appropriée. Tous les médecins et centres de santé du canton de Genève sont autorisés à réaliser un test de variole du singe, de même que les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et Checkpoint Genève, ce dernier ayant reçu le financement supplémentaire nécessaire pour ouvrir des plages horaires spécifiques.

La recommandation de se tester concerne en priorité les personnes symptomatiques. Deux aspects doivent être relevés quant à cette population : Premièrement, la définition d’une personne asymptomatique n’est pas formalisée. Un symptôme (par exemple un bouton) peut être présent mais pas visible ou pas sensible. La personne peut aussi avoir, ou ressentir, peu de symptômes, ou ne pas les interpréter comme tels. Deuxièmement, les données scientifiques sur les personnes asymptomatiques – dans le cadre de cette épidémie – sont encore rares. Deux études européennes ont montré une faible proportion d’asymptomatiques parmi les personnes contaminées à la variole du singe. Une étude est en cours à Genève, qui permettra d’orienter la stratégie des autorités sanitaires le cas échéant. Nous suivons cette problématique de près, mais elle ne constitue pas une inquiétude majeure à ce jour.

  • Une politique de recommandation de dépistage en fonction de situations précises, comme pour les IST, ne serait-elle pas pertinente, en tout cas dans un premier temps ?

Dans la majorité des cas, les symptômes de la variole du singe (état grippal et lésions) s’échelonnent de légers ou modérés à très importants. La recommandation est claire et simple : si vous êtes une personne ayant des pratiques à risque et si vous avez des symptômes, contactez un médecin au plus vite. Le dépistage est facilement accessible.
Il est aussi utile de rappeler que, parmi les personnes ayant des pratiques à risque, nombreuses sont celles qui ont un comportement positif de recherche de santé, c’est-à-dire qu’elles sont sensibilisées aux thématiques de santé, savent reconnaître des symptômes, ont le réflexe de consulter en cas de doute, et savent qui solliciter.
Cette question rejoint ainsi la question précédente et la problématique des personnes asymptomatiques. A la lumière des connaissances actuelles, le bénéfice réel de la stratégie proposée dans la question n’est pas clair en termes d’utilité et d’efficacité (les personnes symptomatiques vont se faire tester, celles qui ne le sont pas sont, au vu des chiffres à disposition, peu nombreuses).

  • Suite à la récente décision du Conseil fédéral d’acquérir un certain nombre de doses de vaccin, le canton a-t-il déjà planifié sa campagne de vaccination (promotion en priorité auprès des personnes les plus exposées, processus d’accès permettant d’éviter le risque de « outing » en procédant à la vaccination dans des lieux qui s’y prêtent, en évitant des délais d’attente trop longs ou encore des questionnaires trop intrusifs qui pourraient amener des personnes à renoncer à se faire vacciner ou dépister) ?

La planification de la campagne de vaccination est en cours à Genève. Il faut noter que cette campagne est tout à fait inédite, de par sa temporalité d’une part, et de par le fait que le produit utilisé n’a pas été homologué en Suisse (le fabricant n’a pas déposé, pour des raisons financières, de demande d’homologation auprès de Swissmedic) d’autre part. Alors que les autorités fédérales, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et Swissmedic sont en négociation avec le fabricant et résolvent, de leur côté, des problématiques légales et logistiques, les équipes de la direction générale de la santé – et principalement le service du pharmacien cantonal (SPhC) et le SMC– finalisent la stratégie de vaccination à Genève. De nombreux acteurs sont impliqués – étatiques, hospitaliers et associatifs – pour offrir une procédure adaptée aux populations éligibles à la vaccination (et notamment la prise de rendez-vous, le lieu de vaccination, la formation du personnel, la protection des données). Le recueil et le partage de données ne concernera que les données nécessaires pour pouvoir suivre et joindre les personnes vaccinées en cas de besoin et ne sera effectué que par un nombre limité de personnes dûment autorisées. Ces informations – qui relèvent du secret professionnel, du secret médical et du secret de fonction – seront traitées en toute confidentialité, conformément à la législation applicable en matière de protection des données. Enfin, pour ce qui concerne le risque d’outing, le lieu de vaccination permettra une grande confidentialité.

  • Quels sont les critères d’éligibilité envisagés et les éventuelles priorisations si le nombre de vaccins était insuffisant pour répondre à la demande ?

Au vu de l’épidémiologie actuelle et de l’expérience des semaines écoulées et des autres pays, l’OFSP a décidé de proposer la vaccination en priorité aux personnes ayant des pratiques à risque, à savoir :
– les hommes ayant des pratiques sexuelles multipartenaires avec d’autres hommes, y compris les personnes transgenres;
– le personnel de santé fortement exposé à la variole du singe;

– les personnes qui ont été tout récemment en contact étroit avec une personne malade de la variole.

L’administration du vaccin se fait par voie sous-cutanée. En cas de pénurie de vaccins, l’administration intradermique (ID) peut être faite et ne nécessite qu’un cinquième de la dose. L’administration sous-cutanée est habituellement favorisée, car elle ne nécessite pas, comme l’ID, d’être effectuée par du personnel spécifiquement formé. Si l’ID nécessite un savoir-faire particulier, il permet de vacciner 5 personnes avec une dose, et a la même efficacité. C’est une stratégie courante utilisée notamment lors d’épidémies de fièvre jaune.

  • En cas de nombre insuffisant de doses de vaccin attribuées à Genève, et si des doses de vaccin devaient être disponibles en France voisine, est-ce que le canton serait en mesure de trouver un accord sanitaire transfrontalier pour faciliter l’accès au vaccin ?

Les informations du terrain indiquent que des personnes habitant en Suisse et à Genève sont allées se faire vacciner dans d’autres pays. Le schéma vaccinal utilisé en France est de 1 dose, alors qu’on préfère en Suisse la variante avec 2 doses. Les personnes qui auraient effectué une première dose dans un autre pays pourront compléter leur schéma vaccinal en Suisse.
Ceci dit, aucun accord franco-suisse ou international n’est prévu à ce jour.

  • Comment la prise en charge des patients se passe-t-elle à ce jour d’un point de vue :
    – médical : accès au dépistage pour confirmer l’infection (monitorage) et accès au traitement antiviral ?

Toute personne ayant des pratiques à risque et des symptômes a accès au dépistage. Le test PCR est gratuit – la Confédération le prend en charge – et la consultation médicale est payante. La personne positive à la variole du singe est ensuite accompagnée et contactée régulièrement par le SMC durant sa période de contagiosité, ainsi que par les médecins cliniciens si besoin.
L’utilisation d’un traitement viral est décidée au cas par cas, en prenant en compte des critères tels que la sévérité de la maladie ou l’immunosuppression du patient. Ce traitement est disponible aux HUG.

  • – de santé publique : l’isolement et le tracing sont-ils possibles sans « outing » ? Que l’Etat de Genève a-t-il mis en place pour réduire ce risque ?

Que ce soit pour le traçage des contacts ou, bientôt, pour la vaccination, les données traitées sont des données médicales et donc des informations hautement confidentielles. Le plus petit nombre possible de personnes y a accès et les professionnels concernés sont soumis au secret professionnel, au secret médical et au secret de fonction. La DGS est particulièrement vigilante en matière de protection des données et veille au strict respect des dispositions applicables à cet égard.
Avec l’expérience et le recul des semaines écoulées, il a été décidé d’alléger l’isolement, puis de le modifier en recommandation, adaptée à la situation individuelle de chaque personne infectée. Selon les symptômes, les endroits où se trouvent les boutons et après évaluation des risques (par ex. activités professionnelles de la personne, logement, conditions de vie), des recommandations spécifiques sont transmises par les équipes du SMC. Ces recommandations doivent être appliquées durant toute la période de contagiosité par la personne contaminée. L’objectif de ces recommandations est d’éviter la transmission de la variole du singe à d’autres personnes. Il peut par exemple être nécessaire :
– de rester dans son logement;
– de rester dans sa chambre selon la configuration du logement;
– d’éviter de rencontrer d’autres personnes;
– d’éviter de se rendre dans des lieux où se trouvent de nombreuses personnes et où il est difficile de garder ses distances;
– de privilégier le télétravail.
Dans tous les cas, il est absolument nécessaire :
– de limiter les contacts étroits y compris les relations sexuelles;
– d’éviter de partager des objets (draps, linges, vaisselle);
– de mettre un masque et de couvrir les boutons si l’on sort ou croise d’autres personnes;
– de ne pas côtoyer de personnes à risque de faire des complications (femmes enceintes, enfants en bas âge, personnes âgées, personnes avec un système immunitaire affaibli).
Cette stratégie permet d’éviter les transmissions tout en limitant le risque d’outing. Il reste nécessaire d’informer les personnes avec lesquelles un logement est partagé.

  • – financier : une aide aux personnes précarisées par l’isolement sur décision cantonale (par exemple les indépendants, y compris les travailleuses et travailleurs du sexe) est-elle prévue étant donné que des personnes pourraient renoncer au dépistage par peur des incidences financières liées à l’isolement ?

Les équipes de la DGS sont en contact avec les associations sur le terrain qui sont en lien avec les travailleuses et travailleurs du sexe. Ces associations mènent une sensibilisation active auprès de cette population. Elles ne remontent pas de demande particulière concernant des besoins de consultation ou de dépistage, ni non plus les indices d’un sous-dépistage.