Pierre Eckert

Question écrite déposée par Pierre Eckert en mai 2022

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: Q 3891 A

Exposé de la question:

Le plan directeur de l’énergie (PDE) du canton de Genève prévoit des
objectifs ambitieux, qui nécessiteront d’importants investissements pour
l’assainissement énergétique des anciens bâtiments. Pour que ces objectifs
puissent être atteints, il est indispensable que toutes les formes de propriété
puissent faire leur part de l’effort collectif à fournir.

Le PDE prévoit que le cadre légal devra être adapté et que des soutiens
financiers seront nécessaires pour répondre aux besoins spécifiques des
différents propriétaires selon leur statut.

Une forme de propriété nécessite une attention toute particulière, il s’agit
des PPE, car, contrairement aux coopératives d’habitation ou aux sociétés
immobilières d’actionnaires locataires, les PPE ne peuvent pas recourir à
l’emprunt bancaire en leur nom, ou alors très difficilement, car elles n’ont pas
de statut juridique reconnu pour le permettre, elles ne sont ni une personne
morale ni une personne physique. Il revient donc à chaque copropriétaire
d’assumer financièrement sa part des travaux.

D’autre part, la diversité des profils de copropriétaire à l’intérieur d’une
même PPE fait que les intérêts divergent, par exemple entre les
copropriétaires qui résident dans leurs biens et ceux qui les louent, ou encore
entre jeunes (qui ont du temps devant eux pour amortir l’investissement) et
les personnes plus âgées.

Enfin certains copropriétaires n’ont tout simplement pas la capacité de
recourir à l’emprunt, notamment les retraités, ainsi que les jeunes qui
viennent d’acquérir leur bien.

Comme on le voit, les intérêts des différents copropriétaires d’une PPE
peuvent être divergents, si bien qu’il est quasiment impossible d’obtenir une
majorité en faveur de l’isolation périphérique des bâtiments (qui concerne
solidairement l’ensemble des copropriétaires) en assemblée générale,
isolation indispensable pour atteindre les objectifs du PDE.

Selon une estimation, Genève compterait 1200 PPE qui représenteraient
18% des appartements du canton.

Que faudrait-il faire pour répondre aux besoins spécifiques des PPE ?
Octroyer la possibilité de recourir à un financement sur le long terme, au nom
de la PPE, réparti en fonction des quotes-parts des unités d’étage et
automatiquement transmissible en cas de vente. Le service de la dette
(amortissement et intérêts) serait intégré dans les charges de copropriété de
chaque unité d’étage. De cette façon, de nombreuses oppositions seraient
levées et les majorités pourraient ainsi être obtenues beaucoup plus
facilement. Cela peut se faire en modifiant la loi actuelle (code civil suisse,
CCS) au niveau fédéral ou en contournant l’obstacle au niveau cantonal avec,
par exemple, un cautionnement ou un fonds de garantie. D’autres solutions
pourraient bien entendu émerger.

Majorités requises

Pour tous travaux, les décisions sont prises lors d’assemblées générales
des copropriétaires (AG) et trois catégories de travaux sont prévues (CCS) :

  • les travaux nécessaires au maintien de la valeur du bien et de son utilité,
    ils requièrent la majorité simple (>50% des voix – CCS 647c) ;
  • les travaux utiles au maintien de la valeur du bien et de son utilité, ils
    requièrent la double majorité (>50% des voix et des parts de copropriété,
    certains règlements peuvent prévoir des limites plus élevées, à 75% par
    exemple – CCS 647d) ;
  • les travaux d’embellissement qui nécessitent l’unanimité (CCS 647e).

En principe, les travaux de rénovation énergétique s’inscrivent dans la
catégorie « travaux utiles », mais il semble que, si la loi impose de nouvelles
normes aux bâtiments existants, ces travaux tomberaient alors dans la
catégorie « travaux nécessaires », facilitant ainsi légèrement leur adoption par
l’assemblée des copropriétaires.

Questions

Je remercie par avance le Conseil d’Etat de répondre aux quelques
questions suivantes :

  1. Est-il possible de confirmer que les travaux requis pour se conformer
    aux nouvelles lois sont bien des « travaux nécessaires » (au sens du
    code civil suisse), afin que la majorité simple soit suffisante ?
  2. Peut-on envisager que l’Etat de Genève se dote d’un fonds de garantie
    pour les PPE, éventuellement en partenariat avec la BCGE ?
  3. Est-il possible de vérifier, et éventuellement adapter, les règles
    d’application de l’hypothèque de droit public ?
  4. Est-il nécessaire de modifier le CCS pour inclure le remboursement des
    dettes de la PPE ou cela s’intègre-t-il naturellement dans les charges de
    copropriété ?
  5. Le Conseil d’Etat verrait-il d’autres moyens de lever les difficultés
    d’investissement propres aux PPE ?

Réponse du Conseil d’Etat

Travaux nécessaires au sens du code civil suisse

Le cadre légal et réglementaire cantonal fixe à 450 MJ/m2.an
(125 kWh/m2.an) le seuil déclencheur au-dessus duquel des mesures
d’optimisation, voire de rénovation énergétique, peuvent être imposées. En
cas de dépassement de ce seuil, une mise en conformité peut être exigée par
l’autorité compétente, et le non-respect de ces mesures peut être sanctionné
par voie de décision administrative.

Le Conseil d’Etat est d’avis que les travaux induits par les mesures
ordonnées par l’autorité compétente constituent, selon toute vraisemblance,
des « travaux nécessaires », qui pourraient ainsi être décidés par la seule
majorité de tous les copropriétaires, conformément à l’article 647c du code
civil suisse, du 10 décembre 1907 (CC; RS 210). Il n’appartient toutefois pas
à un exécutif cantonal de trancher définitivement cette question, qui ressort
de l’interprétation du droit civil fédéral, mais à un juge civil.

Fonds de garantie pour PPE et financement de la transition
énergétique du parc immobilier genevois

La mise en oeuvre de la transition énergétique nécessite des structures et
des moyens de financement adaptés. Ce volet est essentiel pour offrir aux
propriétaires des solutions leur permettant d’engager des opérations de
rénovation énergétique de leurs bâtiments, d’investir dans des systèmes de
production et d’alimentation renouvelables, ou de déployer d’autres mesures
de sobriété et d’efficacité énergétique.

Pour mener à bien leurs projets ayant un impact énergétique, les
propriétaires en PPE peuvent déjà bénéficier de subventions ou d’aides
financières (de la Confédération, du Canton, des communes, des Services
industriels de Genève notamment). Les instruments incitatifs et les dispositifs
légaux existants sont actuellement évalués afin de tenir compte des nouveaux
objectifs cantonaux et des modifications du règlement d’application de la loi
cantonale sur l’énergie entrées en vigueur le 20 avril 2022 (REn;
rs/GE L 2 30 01).

Compte tenu de l’importance des besoins de financement qui sont en jeu,
la réussite de la transition énergétique nécessite également des approches
financières innovantes pour être en mesure de mobiliser des capitaux privés,
au-delà des mécanismes publics existants. Ces solutions de financement
devront répondre aux besoins spécifiques des différents propriétaires selon
leur statut, la typologie et la situation géographique de leurs biens
immobiliers.

Le département du territoire, en collaboration avec quelques acteurs de la
branche, a mis à l’étude différentes solutions de financement de la transition
énergétique des bâtiments situés sur le territoire cantonal. Cette analyse
cherche à explorer toutes les voies possibles pour mobiliser des capitaux au
meilleur coût et offrir une rentabilité suffisante aux investisseurs et aux
différents acteurs du marché. Toutefois, conscient des difficultés spécifiques
liées au financement de la transition énergétique des bâtiments soumis au
régime de la propriété par étage, le département du territoire mène des
réflexions quant à l’aménagement, à court terme, des dispositifs actuels.

Règles relatives aux hypothèques de droit public

L’article 836 CC prévoit que lorsque le droit cantonal accorde au
créancier une prétention à l’établissement d’un droit de gage immobilier pour
des créances en rapport direct avec l’immeuble grevé, ce droit est formalisé
en principe par son inscription au registre foncier, qui le rend opposable aux
tiers de bonne foi. En d’autres termes, cela signifie que le créancier peut protéger ses droits en faisant inscrire sa créance au registre du fonds
concerné.

Par ailleurs, l’hypothèque de droit public doit reposer sur une base légale
cantonale au sens formel et la créance couverte doit être une créance de droit
public.

L’article 147 de la loi d’application du code civil suisse et d’autres lois
fédérales en matière civile, du 11 octobre 2012 (LaCC; rs/GE E 1 05),
énumère les créances au bénéfice d’une hypothèque légale au sens de
l’article 836 CC.

Une évolution des règles d’application de l’hypothèque de droit public
nécessiterait donc d’adapter le cadre légal. Cela étant, la pertinence d’une telle
évolution se pose dès lors que, par principe, une hypothèque n’a pas pour but
principal de faciliter l’octroi d’une créance, mais bien de renforcer la
protection des droits du créancier. En revanche, un tel dispositif pourrait
s’envisager pour garantir le paiement des travaux d’office effectués par
l’autorité ou le remboursement des prêts éventuellement octroyés pour
faciliter le financement des travaux pour la communauté de la PPE.

Code civil suisse

En vertu de l’art. 712l CC, la communauté de la PPE peut actionner et être
actionnée en justice ainsi que poursuivre ou être poursuivie. En cas de
condamnation, il appartient ainsi à la communauté de s’organiser pour
garantir le paiement de ses obligations. Il n’apparaît donc pas, à première
analyse, que le code civil suisse serait lacunaire au point de nécessiter une
modification du droit fédéral, qui n’est de surcroît pas du ressort d’un exécutif
cantonal.