Philippe de Rougemont

Question urgente écrite déposée par Philippe de Rougemont en mars 2022

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: QUE 1713 A

Exposé de la question:

Considérant :

  • le risque avéré qu’un nuage de particules radioactives parvienne sur le
    territoire cantonal suite à un accident dans une centrale nucléaire située en
    Suisse ou à l’étranger ;
  • la présence de 4 centrales nucléaires sur le territoire ukrainien ;
  • la menace par la Russie d’employer l’arme atomique et la mise en alerte
    de son système de mise à feu de missiles ;
  • l’obsolescence de la doctrine des « cercles concentriques de 50 km »
    autour des centrales nucléaires pour délimiter les territoires considérés
    comme étant officiellement vulnérables et à l’intérieur desquels les
    comprimés d’iode ont été envoyés à titre préventif, alors qu’une étude
    genevoise menée en collaboration avec l’université a démontré que la
    direction des vents dominants dans les 3 jours suivant l’accident projette
    les particules sur des centaines voire des milliers de km ;
  • l’efficacité reconnue de la prise par la population d’iodure de potassium
    en comprimé avant l’arrivée du nuage pour se protéger en cas d’accident
    au moins d’une partie du cocktail de radionucléides ;
  • l’envoi à Genève par la pharmacie de l’armée du stock utile suffisant de
    comprimés d’iode pour la population résidente et en séjour ;
  • la récente déclaration de la conseillère fédérale Viola Amherd : « …c’est
    aux cantons de s’assurer que la population puisse recevoir des comprimés
    d’iode dans un délai de 12 heures après un ordre national » ;
  • la doctrine cantonale, en cas d’une catastrophe nucléaire, consistant
    actuellement à demander à la population de préparer son confinement et
    en même temps de se rendre dans un centre de distribution public (écoles)
    pour se procurer ses tablettes d’iodure de potassium et par là exposer le
    canton au risque de scènes de panique et d’engorgement ;
  • les déclarations de deux cadres du service d’incendie et de secours lors du
    colloque « Prévention nucléaire » du 16 décembre 2020 au Palais Eynard
    sur l’état de préparation de Genève en cas de catastrophe nucléaire qui
    faisaient état d’une « impossibilité opérationnelle de protéger la
    population des radionucléides et à la fois ordonner de se déplacer pour
    chercher ses comprimés d’iode »,

dans ce contexte, et en précisant que la qualité du travail et de l’engagement
de l’OCPPAM ne sont nullement remis en cause ici, je prie le Conseil d’Etat
de bien vouloir répondre aux questions suivantes :

  • L’envoi à titre préventif de comprimés d’iode à toute la population du
    canton a-t-il été évalué à titre de comparaison avec la doctrine actuelle
    consistant en cas d’accident à ordonner dans le même laps de temps le
    confinement à domicile et le déplacement pour chercher ses comprimés
    d’iode ?
  • Si cette évaluation comparative n’a pas été effectuée, le Conseil d’Etat
    a-t-il l’intention d’y procéder ?

Réponse du Conseil d’Etat

Cadre normatif

Le canton de Genève étant à plus de 50 km d’une centrale nucléaire suisse
(et étrangère), son dispositif actuel de stockage et de distribution des
comprimés d’iode répond aux normes fixées par l’ordonnance sur la
distribution des comprimés d’iode, du 22 janvier 2014 (RS 814.52). Selon les
dispositions en vigueur, la distribution à la population se fait sur ordre de l’Etatmajor
fédéral de protection de la population après un incident pouvant
entraîner la mise en danger de la population à la suite de l’émission d’iode
radioactif, en fonction de l’appréciation de la situation radiologique et de son
évolution par la Centrale nationale d’alarme, qui dispose d’un réseau de moyens
de mesure permanent sur le territoire helvétique. Le délai fixé par l’ordonnance
pour la distribution est de douze heures suivant l’ordre d’y procéder.

Prescriptions d’usage

En cas d’accident grave dans une centrale nucléaire, il peut se produire des
rejets d’iode radioactif qui risquent de générer un cancer de la glande thyroïde.
Les comprimés d’iodure de potassium servent à saturer cette glande et ainsi à
la protéger de l’iode radioactif. La prise de comprimés d’iode n’a pas d’effet sur
les autres éléments radioactifs émis lors d’un accident dans une centrale
nucléaire. De plus, les comprimés ne sont efficaces que s’ils sont pris au
moment adéquat, c’est-à-dire ni trop tôt, ni trop tard.

Les armes atomiques génèrent, quant à elles, des composants en quantité
différente de ceux découlant d’un accident dans une centrale nucléaire. Par
conséquent, les conséquences et les mesures pour y faire face peuvent aussi
différer. La probabilité que la prise de comprimés d’iode soit ordonnée dans
une telle hypothèse est faible.

Par conséquent, la prise de comprimés d’iode ne représente qu’une des
mesures qui pourraient être ordonnées par la Confédération, pour autant qu’elle
la juge adéquate en fonction de l’événement.

Appréciation de la situation

S’agissant de l’étude de l’Institut Biosphère3 mentionnée dans la présente
question urgente, l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) a
indiqué, par communiqué du 21 mai 2021, qu’elle se trouvait dans l’incapacité
d’en tirer des résultats profitables compte tenu de l’absence de fondement
scientifique.

Par ailleurs, l’analyse fédérale des risques, datant de 2020, estime le risque
d’accident dans une centrale nucléaire comme étant très peu probable.
L’analyse cantonale arrivait à la même conclusion en 2018. En outre, dans son
bulletin d’information sur la situation en Ukraine du 15 mars dernier, l’Office
fédéral de la protection de la population souligne que « étant donné la distance
entre la Suisse et l’Ukraine, il est tout à fait improbable que la prise de
comprimés d’iode s’avère nécessaire en Suisse. »

A titre comparatif, il est à noter que la France limitrophe, dotée de
nombreuses centrales nucléaires, distribue les comprimés d’iode en amont dans
un périmètre plus restreint (20 km autour de chaque centrale).

Le canton de Genève n’a cessé de démontrer sa volonté d’améliorer en
continu son dispositif de protection de la population. Ainsi, les partenaires
concernés du canton et de la Ville de Genève ont été réunis en 2020 et 2021
pour étudier d’autres variantes de stockage et de distribution, avec, pour
certaines, un processus de distribution anticipée.

Aucune des variantes étudiées n’est exempte d’inconvénients et de risques,
tant en matière de coûts que de couverture adéquate. L’adoption d’un nouveau
mode de distribution ne peut être décidée comme une mesure d’urgence. La
détermination du Conseil d’Etat s’appuiera sur des analyses de risques
scientifiques et des réflexions concertées avec la Confédération.

Dans l’intervalle, le Conseil d’Etat considère qu’une sensibilisation de la
population aux bons comportements à adopter en cas d’événement
exceptionnel touchant à sa santé et à son environnement est fondamentale. Il
soutient et promeut les démarches dans ce cadre, comme le téléchargement de
l’application Alertswiss qui permet d’alarmer, si besoin, la population et de lui
communiquer des consignes de comportement.

Sur la base des considérations qui précèdent, le Conseil d’Etat répond par
l’affirmative à la première question et confirme que le modèle de distribution
anticipée a été évalué et non retenu. Il assure, par ailleurs, au Grand Conseil
que les réflexions visant à l’optimisation du concept cantonal actuel se mènent
d’entente avec l’ensemble des partenaires concernés et dans le cadre normatif
mentionné.