Dilara Bayrak

Question écrite déposée par Dilara Bayrak en janvier 2022

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: Q 3886 A

Exposé de la question:

Contexte
Dix ans après la création de l’Institut Confucius de Genève, il paraît
opportun d’en examiner le statut, le fonctionnement et les conséquences sur
le plan académique.

Sur un plan général, il convient de noter que les Instituts Confucius
constituent un des éléments du « soft power » chinois, ceci afin d’améliorer
son image à l’échelle internationale. Les Instituts Confucius émergent d’un
organisme gouvernemental nommé le Hanban, contrôlé par le département
central de la propagande du parti (PCC). Sous couvert de diffusion de la
langue et de la culture chinoises à l’étranger, les Instituts Confucius sont
donc en réalité des structures de la propagande chinoise.

Les Instituts Confucius sont directement financés par l’Etat chinois, ce
qui remet régulièrement en cause leur indépendance. Ils s’implantent au sein
des universités occidentales alors jumelées avec des universités chinoises et
font l’objet d’accords spécifiques sur leur gouvernance.

Depuis plusieurs années, les universités qui avaient fait le choix
d’accepter la création d’un Institut Confucius font le chemin inverse et
décident de les fermer. En 2021, la ministre allemande de l’éducation a attiré
l’attention des autorités sur le rôle de ces instituts, alors même que la Suède
fermait les portes du dernier Institut Confucius du pays. En 2019, le
directeur de l’Institut Confucius rattaché à l’Université Vrije de Bruxelles est
soupçonné d’avoir utilisé son réseau à des fins d’espionnage et est expulsé du
pays.

En Suisse, il était initialement prévu d’avoir trois Instituts Confucius : à
Zurich, à Bâle et à Genève. Celui de Zurich n’a jamais vu le jour et celui de
Bâle a fermé en 2020. « Ouvert en 2013, l’Etat chinois et l’Université ne se
sont pas entendus sur la fonction que devait remplir cet Institut, un pôle
d’échanges culturels pour l’Université de Bâle et un centre de langue pour
l’Etat chinois. Les deux partenaires ont annoncé sa fermeture. Son existence
était d’autant plus remise en cause car il suivait visiblement les manoeuvres
politiques et idéologiques de la Chine. »

Institut Confucius de Genève
En 2011, l’Institut Confucius de Genève ouvrait ses portes. Le budget de
départ était de 200 000 francs et la Chine en assumait la moitié. Un poste de
professeur était payé par l’Université populaire de Pékin et la Suisse avait
mis à disposition la villa Rive-Belle au bord du lac.

Sur les soupçons de propagande et sur la limitation de la liberté
académique, les réponses de l’UNIGE aux médias ont été décevantes. En
effet, il a été affirmé que la liberté académique n’était pas en danger et qu’il
n’y avait aucune forme de propagande au sein de l’Institut Confucius de
Genève.

Toutefois, lorsque des chercheurs refusent de participer à des tables
rondes sur la Chine par peur de se voir interdire l’entrée dans le pays et donc
de ne plus pouvoir travailler, il n’est pas possible d’affirmer que la liberté
académique est garantie. A l’exemple du doctorant à Saint-Gall qui s’est vu
mettre fin à la collaboration avec le chercheur qui l’encadrait à cause d’un
tweet critique à l’encontre de la Chine : le chercheur a craint une sanction
notamment par un refus de visa pour ses recherches futures.

J’ai pu personnellement entendre des craintes similaires à Genève de la
part de chercheurs. Nous pouvons donc déduire une forme d’autocensure
préventive sur les recherches effectuées au sein de l’Institut Confucius à
Genève. En 2011, les affirmations dans la presse du directeur, suisse, de
l’Institut, selon lesquelles l’accord signé entre l’Université de Genève et le
Hanban spécifie que les activités organisées dans l’Institut doivent être
conformes cumulativement aux lois suisses et chinoises, en ont interpellé
plus d’un !

Questions
Compte tenu des éléments exposés, je pose les questions suivantes au
Conseil d’Etat et le remercie pour ses réponses :

  1. Quelle est la position du Conseil d’Etat vis-à-vis de l’Institut Confucius
    à Genève, surtout au regard des raisons qui ont poussé à la fermeture
    de l’Institut Confucius à Bâle ?
  2. A quelle hauteur l’Institut Confucius de Genève est-il financé par de
    l’argent public ?
  3. Au niveau mondial et européen, de nombreux instituts Confucius ont
    été fermés par les universités qui avaient accepté ce partenariat pour
    cause de forts soupçons de propagande et d’espionnage. Qu’est-ce qui
    fait que l’Institut Confucius échapperait à ces soupçons à Genève selon
    le Conseil d’Etat ? Et s’il n’y échappe pas, pourquoi est-ce que
    l’UNIGE persiste-t-elle à faire vivre cette collaboration problématique ?
  4. L’Institut Confucius de Genève fait l’objet d’accords avec l’UNIGE et
    l’Université populaire de Pékin, est-ce que le Conseil d’Etat a
    connaissance des modalités de ceux-ci ?
  5. Il est impératif que les modalités de ces accords soient accessibles au
    public, dans leurs diverses versions historiques et actuelles. Comment
    est-ce que le Conseil d’Etat entend-il assurer l’accessibilité au public de
    ces documents ?
  6. Le Conseil d’Etat étant l’entité de surveillance de l’UNIGE, comment le
    Conseil d’Etat contrôle-t-il le respect de la liberté académique au sein
    de l’Institut Confucius au vu des accords types qui poussent les
    chercheurs à pratiquer de l’autocensure dans leurs choix de
    recherches ?
  7. Quelle est l’appréciation du Conseil d’Etat sur la qualité scientifique de
    l’enseignement et de la recherche effectués depuis une dizaine d’années
    dans cette institution ? Entend-il commanditer une expertise externe sur
    ce point ?
  8. Quels sont les liens entre l’Institut Confucius et la Fondation de
    l’Institut chinois de Genève ?
  9. Quelle est la valeur monétaire de la mise à disposition à titre gracieux
    de la villa où se trouve l’Institut Confucius et qui contribue à sa
    renommée ?
  10. L’Institut Confucius bénéficie-t-il d’autres financements d’argent
    public ?

Réponse du Conseil d’Etat

Conformément à la loi sur l’Université, du 13 juin 2008 (LU; rs/GE
C 1 30), l’Université de Genève (ci-après : UNIGE), en tant qu’établissement
public autonome, s’organise elle-même, fixe ses priorités et ses modalités
d’action et est responsable de sa gestion, ce qui inclut la définition de ses
programmes ainsi que de ses partenariats académiques.

Cela étant dit, l’Institut Confucius (IC) est un institut de l’UNIGE qui
s’articule autour d’un partenariat avec l’Université de Renmin à Beijing.
L’institut est conçu comme une plate-forme de diplomatie scientifique
couvrant différents domaines d’enseignement et de recherche (langue
chinoise, droit, etc.). Ces activités sont développées selon une approche
comparative entre le système suisse/occidental et le système chinois. La
majorité des activités scientifiques sont menées conjointement avec des
facultés de l’UNIGE.

Il n’est donc pas comparable à l’Institut Confucius de Bâle (CIUB) qui, au
cours de ses 7 années d’existence, a mené toute une série de programmes de
promotion de la Chine et de la Suisse, en sus de la gestion des activités
régulières telles que l’enseignement du chinois, la formation des professeurs
chinois locaux, la tenue d’examens de chinois et la préparation d’étudiants
bâlois en vue de participer à des camps d’été en Chine. Les projets et activités
d’échanges ont contribué de manière positive aux échanges culturels entre les
partenaires des deux universités (Université de Bâle et East China Normal
University Shanghaï), des deux villes ainsi que de la Chine et de la Suisse. En
2019, les partenaires chinois ont décidé de restreindre les missions du CIUB
à l’enseignement linguistique. Dans ce contexte, l’institut n’avait plus de sens
pour l’Université de Bâle car il n’aurait fait que concurrencer les programmes
d’enseignement cantonaux et privés existants, et ne répondait donc plus à son
rôle initial de pont entre la Chine et la Suisse. Le comité directeur du CIUB a
donc décidé de la fermeture de l’institut début 2020.

Le contrôle ainsi que le fonctionnement de l’IC sont entièrement gérés par
l’UNIGE, qui en assure également la direction. L’IC fait l’objet d’un accord
entre l’UNIGE, l’Université Renmin et la Chinese International Educational
Foundation. Le rôle de l’institut est défini par une association de droit suisse,
dont le comité stratégique, responsable de l’institut, est composé de
4 membres représentants de l’UNIGE et 4 membres représentants de
l’Université Renmin. L’ensemble des ressources et du personnel de l’institut
est hébergé par l’UNIGE et est soumis au règlement interne de l’institution.

L’accord ainsi que les statuts régissant l’IC ont été transmis au Conseil
d’Etat, et le site internet de l’IC sera prochainement complété avec des informations sur les statuts, comme l’a recommandé le Comité d’éthique et de
déontologie, organe indépendant, dans son rapport annuel 2020-2021. Par
ailleurs, un document intitulé « Règles internes d’organisation de l’Institut
Confucius de l’UNIGE » a été rédigé début 2021 afin d’expliciter les
processus décisionnels et l’organisation de l’institut.

Toutes les informations souhaitées sont fournies aux personnes qui en
font la demande à l’UNIGE, qui a par ailleurs déjà fourni les statuts à d’autres
universités suisses et à l’association du corps intermédiaire notamment.

La gestion de l’IC et de ses activités est soumise aux mêmes règles que
celles prévalant pour les autres centres et instituts de l’UNIGE. Depuis la
création de l’institut en 2011, une vice-rectrice ou un vice-recteur suit en
outre directement l’institut et supervise le travail de la direction, notamment
par des entretiens mensuels.

Toute recherche académique doit être menée en veillant au respect de la
sécurité des personnes impliquées. La collaboration scientifique avec un pays
comme la Chine est un exercice complexe, mais tout est mis en oeuvre pour
que les principes fondamentaux de l’UNIGE ne soient jamais sacrifiés, en
particulier les questions de liberté académique, de liberté de recherche et
d’enseignement. Par ailleurs, les thèses de doctorat élaborées dans le cadre de
l’institut sont toutes soumises aux règles des facultés de l’UNIGE dans
lesquelles elles sont inscrites. Du point de vue de l’UNIGE, la collaboration
autour de l’institut n’est pas problématique. Elle a d’ailleurs permis à des
chercheuses et chercheurs de l’UNIGE de démarrer hors cadre de l’institut
des travaux de collaboration avec des collègues chinois. C’est notamment le
cas dans le domaine de l’archéologie.

La collaboration avec la Chine n’est pas une question propre à l’UNIGE,
toutes les hautes écoles ayant des relations avec la Chine. Cette question a
fait l’objet de discussions au sein de swissuniversities dans le but d’élaborer
un guide de coopération internationale et des lignes directrices pour le
personnel de recherche afin d’être en mesure de gérer les risques stratégiques,
sécuritaires et éthiques qui y sont associés, et ainsi développer des
collaborations durables. La Chine ayant initialement été prise comme l’un des
exemples de pays qui pose des défis dans le cadre de la collaboration
académique, ce guide pourra s’appliquer aux collaborations avec d’autres
pays également.

Il n’appartient pas au Conseil d’Etat de juger de la qualité scientifique des
activités de l’UNIGE, qui dispose de ses propres outils d’évaluation interne
tels que les publications et l’évaluation des étudiants, mais il a été informé
qu’à l’occasion des 10 ans de l’IC, l’UNIGE avait décidé de conduire une
évaluation externe qui sera initiée dans le courant de l’année 2022.

Concernant le financement, le budget annuel de l’institut est supporté à
part égale par les partenaires. Pour l’UNIGE, cela représente 100 000 francs
de frais de fonctionnement, 370 000 francs de frais de personnel et environ
30 000 francs de frais d’équipement et de maintenance. Par ailleurs, l’Etat de
Genève met à disposition de l’institut la Villa Rive-Belle, équivalant à une
subvention non monétaire de 272 000 francs.

L’existence d’une plate-forme de diplomatie scientifique entre la Chine et
la Suisse s’inscrit dans la tradition de la Genève internationale comme un
espace de dialogue. Les projets de recherche, colloques et conférences
abordent régulièrement des thématiques sensibles, telles que la question des
communautés musulmanes, des réformes des institutions ou le statut de Hong
Kong. Depuis son inauguration en 2011, l’IC n’a annulé aucune activité pour
des raisons de différend politique ou idéologique, les seules annulations ayant
été causées par la pandémie de Covid-19.

Enfin, il n’y a pas de collaboration entre l’IC et la Fondation de l’Institut
chinois de Genève. La directrice de la fondation et certains enseignantes et
enseignants ont suivi des formations en didactique du chinois langue
étrangère à l’IC.