Boris Calame

Question écrite déposée par Boris Calame en mai 2021

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: Q 3857 A

Exposé de la question:

Le Conseil d’Etat de la République et canton de Genève a cosigné la Charte d’éthique de la 3D, à Monaco, le 4 février 2010, sous le haut patronage de S.A.S. le Prince Souverain de Monaco.

Celle-ci a (avait) comme but d’assurer l’objectivité de la modélisation tridimensionnelle sur le plan éthique et en matière de déontologie, notamment afin d’assurer, aux projets de construction et d’aménagement, un rendu objectif, sincère et conforme à la réalité.

En effet, dans un monde où la progression numérique est constante, la modélisation 3D a une influence toute particulière sur notre appréhension d’un projet et notre capacité de nous projeter dans une réalisation.

Avec le développement considérable de la modélisation, de nombreux objets sont présentés, parfois enjolivés, aux décideurs et au public. Il faut constater une importante progression de la méfiance envers l’autorité, notamment dans le domaine de l’aménagement du territoire. La fidélité des données et la modélisation des projets méritent, très certainement, une garantie d’éthique et d’objectivation à la réalité.

« A noter qu’une illustration tout à fait parlante se situe dans la brochure dédiée à la Charte (page 8) où l’on peut voir côte à côte et à même taille un séquoia (de 144 m) et une pomme de pin (de 14 cm). Cela devrait nous interpeller en nous rappelant de savoir faire la différence entre 1 kilo de plume et 1 kilo de plomb. »

En consultant les données relatives à la Charte 3D, accessibles sur internet, soit notamment les pages de références du canton et de la Confédération, on peut penser que ce projet a été [totalement] abandonné, ce d’autant plus que le lien « officiel » de la 3D éthique « http://www.3dok.org/ » n’est à ce jour plus attribué. Les données les plus exhaustives et récentes se trouvent sur le site du canton de Genève avec une dernière mise à jour au 11 mai 2018.

Pourtant, au regard du préambule et des objectifs donné dans le « livre » de la Charte publié, sur le site du canton, l’esprit même de la Charte mériterait de perdurer et, plus encore, de se développer :

  • Les nouvelles technologies traitant les données tridimensionnelles du territoire imposent des exigences permettant d’assurer l’objectivité de la modélisation tridimensionnelle sur le plan éthique et en matière de déontologie.
  • La présente Charte d’éthique et de déontologie a pour but d’établir les principes fondamentaux que ses signataires s’engagent à respecter activement.
  • Elle s’adresse aux collectivités publiques, aux unités de recherche, aux associations professionnelles, aux privés, soit à tous ceux qui ordonnent, produisent, gèrent, utilisent ou diffusent des données géographiques, des images de synthèse ou des scènes à caractère tridimensionnel du territoire, avec les outils qui y sont associés.

Rappeler alors ici quels sont les engagements qui ont été pris à la signature de ladite Charte par le Conseil d’Etat et les autres signataires :

  1. Principe de crédibilité
    Afin d’assurer une représentation crédible du territoire, les signataires s’engagent à : créer des images de synthèse ou des scènes tridimensionnelles qui ne soient pas susceptibles d’influencer à son insu le décideur, le maître d’ouvrage ou le public
    − utiliser uniquement des données fiables et actuelles, privilégiant l’usage de données officielles, de qualités adéquates et suffisantes, représentatives du territoire concerné par le projet
  2. Principe de transparence
    Afin d’assurer la plus grande transparence sur les productions 3D, les signataires s’engagent à :
    − documenter les données d’origine intégrées à la scène tridimensionnelle et l’image de synthèse
    − préciser les objectifs de la scène tridimensionnelle
    − indiquer les éléments subjectifs appropriés, appliqués à la scène tridimensionnelle
    − accompagner la scène tridimensionnelle d’une légende adéquate
    − mentionner toute transformation des données
    − renoncer à l’usage de données qui lors de leur acquisition porteraient atteinte à la sphère privée des personnes
  3. Principe de développement de réseaux et formation 3D
    Afin de sensibiliser les différents acteurs aux principes de la présente charte, les signataires s’engagent à :
    − mutualiser les bonnes pratiques dans l’utilisation de la 3D
    − favoriser la création de réseaux de partage sur le thème de la représentation tridimensionnelle du territoire (communauté 3D, forum, notamment)
    − encourager la formation (initiale et continue) et la recherche dans le domaine de la 3D
    − promouvoir la charte d’éthique et de déontologie de la 3D

ENGAGEMENT
Les principes énoncés dans la présente charte engagent chaque signataire. Elle est complétée des directives et des règlements spécifiques.
Un comité d’éthique et de déontologie veille à son respect. Tout semble avoir été mis en place [en son temps] avec notamment l’élaboration d’un règlement (23.06.2011), d’une liste des membres signataires (dernière mise à jour en mars 2016) et aussi d’un comité d’éthique nominatif et son secrétariat assuré auprès de la direction de la mensuration officielle du canton de Genève.
Il est surprenant de constater le peu d’acteurs institutionnels (23 dont 7 CH), associatifs (15 dont 4 CH), privés (28 dont 5 CH) ou encore professionnels (177 dont 33 CH) qui ont suivi le mouvement. Tout semble s’être arrêté en 2016 (dernière mise à jour de la liste des membres trouvée sur le site du canton) avec les quelques derniers membres inscrits en 2013.
On peut par exemple constater qu’à l’HEPIA – Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève – une formation postgrade existe (ou existait) sous la forme d’un CAS 3D GEO. L’institution n’est pas signataire de ladite Charte éthique de la 3D, bien qu’une partie du module 1 « Acquisition et gestion des données 3D » semble se porter sur le « Droit et éthique en lien avec les données 3D ».
D’autres acteurs, pourtant aussi incontournables, n’apparaissent à aucun moment comme membres de la Charte, on peut mentionner notamment les SIG, la Ville de Genève et les autres communes (à l’exception de la commune d’Anières ou encore de la Fondation du logement de la commune de Thônex), l’Université de Genève ou encore de nombreux autres acteurs publics ou privés.
Au regard de ce qui précède, mes questions au Conseil d’Etat et autres collectivités concernées (établissements publics et communes), qui sont remerciés par avance pour leurs réponses, sont les suivantes :

1. Est-ce que la Charte d’éthique de la 3D a été dénoncée par la République et canton de Genève (ci-après le canton) ? Dans le cas contraire, quelle en est l’application et qui en est responsable ?
2. Où en sont le pilotage, le suivi et la promotion de la Charte d’éthique de la 3D par le canton ?

3.Quelles sont les actions et mesures actives prises depuis la signature de ladite Charte par le canton ?
4. Comment se fait-il que le site référencé dans les documentations publiques du canton et de la Confédération, « ww.3dok.org », soit en déshérence ?
5. Est-ce que le site internet du canton ne devrait pas être, en la matière, actualisé ?
6. Quels sont le bilan et le portage de ladite Charte par la direction de la mensuration officielle du canton ?
7. Quel est l’encouragement du canton et respectivement des institutions de formation en matière de modélisation 3D, plus particulièrement au regard de l’éthique indispensable liée ?
8. Quelles sont les valeurs d’éthique de la 3D de base, mais aussi autres et/ou complémentaires à la Charte, qui sont appliquées par le canton dans la cadre de ses projets et de ceux soumis à autorisation ?
9. Quels contrôles éthiques s’appliquent pour la présentation ou la diffusion de modélisation/illustration 3D, à l’attention des décideurs et du public, pour les [grands] projets, qu’ils soient issus des collectivités ou de privés ?
10. Quelles sont les intentions en matière d’éthique de la 3D de l’Etat pour ces prochaines années ?

Réponse du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat a pris connaissance avec intérêt des interrogations et
constats exprimés par l’auteur de la question. Il en partage largement les
préoccupations. Au-delà des aspects purement divertissants, les
représentations visuelles en trois dimensions ou « 3D » constituent
effectivement des outils devenus nécessaires et courants d’aide à la prise de
décision, de communication et d’informations destinées au grand public.
L’enrichissement des méthodes de représentation du territoire permet une
modélisation particulièrement précise d’un environnement donné. La 3D
fournit des moyens, en amont d’un projet, pour détecter les éventuels
problèmes, les anticiper et apporter des solutions, avant le premier coup de
pioche. C’est un atout pour la mise en oeuvre coordonnée des politiques
publiques relevant notamment de l’aménagement du territoire, de la mobilité,
de la protection de l’environnement, de la nature et du paysage, de
l’agriculture et de l’eau. En plus d’une utilisation « classique » de rendu
visuel du cadre bâti et des équipements sous forme d’images, de maquettes
en temps réel ou d’animations pré-calculées, la 3D permet de répondre à de
nombreux besoins, sous forme d’éléments chiffrés, de simulations ou
d’analyse spatiale. C’est un formidable moyen de simulation pour la gestion
de notre espace de vie.

Considérant l’intérêt pour le canton de Genève d’adhérer à la charte
d’éthique de la 3D pour une utilisation déontologique des représentations
tridimensionnelles du territoire fondé sur de données avérées, le Conseil
d’Etat a décidé, le 13 janvier 2010 d’approuver la charte d’éthique de la 3D et
a désigné Madame Michèle KUNZLER, alors conseillère d’Etat, pour la
signer au nom de la République et canton de Genève.

Cette charte, établie par un groupe d’experts publics et privés a été signée
le 4 février 2010 sous le haut-patronage de SAS le prince Albert II de
Monaco, lors du salon IMAGINA.

Les principes de la charte d’éthique de la 3D, à savoir le principe de
crédibilité, qui vise à assurer une représentation crédible du territoire et des
projets, le principe de transparence, qui doit assurer la plus grande
transparence sur les productions 3D et le principe de développement de
réseaux et formation 3D, qui vise à mutualiser les bonnes pratiques et
encourager la formation et la recherche, sont des principes qui ont toujours
leur actualité et encore plus d’importance dans le monde numérique
d’aujourd’hui. A ce jour cette charte n’a pas été dénoncée par le Conseil
d’Etat.

Après plusieurs années d’activités et de déploiement, la démarche de cette
charte s’est malheureusement lentement étiolée et aujourd’hui il ne subsiste
que le site Internet 3dOK rapatrié et hébergé sur la plateforme www.ge.ch.
Le comité de la charte n’est plus actif car plusieurs de ses membres ne sont
plus dans le domaine ou sont partis à la retraite. La démarche 3dOK a
toutefois lancé une prise de conscience utile qui continue à porter ses fruits,
même si le dispositif formel international est hélas devenu inactif faute d’un
porteur organisé et solide.

Au niveau cantonal, et comme pour toutes ses données informatiques ou
publiques, le Conseil d’Etat veille à ce que les présentations 3D qu’il produit
soient correctes et contribuent à l’information objective du public. A titre
d’exemple, le projet de prolongement du tram Cornavin-Onex-Bernex
(TCOB) à Bernex fait référence à la charte d’éthique de la 3D.

Le Conseil d’Etat doute cependant de l’opportunité de relancer à son
niveau l’ensemble du dispositif, constatant qu’il n’est pas non plus
sérieusement porté par les autres partenaires, en particulier les Etats et les
collectivités publiques à l’origine de la Charte.

S’il entend continuer à appliquer les principes éthiques de la charte pour
les productions de l’administration cantonale, notre gouvernement doit aussi
veiller dans cette période difficile pour les finances cantonales à ne pas se
disperser dans la poursuite de projets peu soutenus par les autres partenaires.