Yves de Matteis

Motion déposée par Yves de Matteis en février 2021

Texte complet: M 2738

Exposé des motifs:

Le 25 juin 2020, plusieurs membres du Grand Conseil, à savoir Mme et
MM. Christian Zaugg, Jocelyne Haller, Jean-Charles Rielle, Jean Batou et
Olivier Baud, ont déposé la proposition de motion M 2663, intitulée
« Langue des signes et communication du Conseil d’Etat ».

Cette excellente proposition de motion n’a connu qu’un examen
sommaire en commission, puisque l’entrée en matière a été refusée sans que
les associations ou les personnes concernées puissent être auditionnées.

Pourtant, la langue des signes est incluse dans la constitution genevoise,
qui précise, à son article 16 « Droits des personnes handicapées », au
chiffre 3, que « La langue des signes est reconnue ».

Comme le mentionne avec raison le site « humanrights.ch »1 la langue des
signes relève de la liberté de la langue, ce qui est encore mentionné de
manière plus explicite dans la constitution du canton de Zurich, à son
article 12, lequel précise que « la liberté de langue inclut la langue des
signes » :
Gebärdenspracheb, Art. 12 : Die Sprachenfreiheit umfasst auch die Gebärdensprache.

Cette spécificité est formulée de manière plus claire dans la Convention
relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) de l’Organisation des
Nations Unies, que la Suisse a signée. A cette fin, les Etats Parties :

  1. communiquent les informations destinées au grand public aux
    personnes handicapées, sans tarder et sans frais supplémentaires
    pour celles-ci, sous des formes accessibles et au moyen de
    technologies adaptées aux différents types de handicaps ;
  2. acceptent et facilitent le recours par les personnes handicapées, pour
    leurs démarches officielles, à la langue des signes, au braille, à la communication améliorée et alternative et à tous les autres moyens,
    modes et formes accessibles de communication de leur choix ;
  3. demandent instamment aux organismes privés qui mettent des
    services à la disposition du public, y compris par le biais de
    l’internet, de fournir des informations et des services sous des formes
    accessibles aux personnes handicapées et que celles-ci puissent
    utiliser ;
  4. encouragent les médias, y compris ceux qui communiquent leurs
    informations par l’internet, à rendre leurs services accessibles aux
    personnes handicapées ;
  5. reconnaissent et favorisent l’utilisation des langues des signes.

La liberté de la langue, c’est-à-dire la reconnaissance des langues des
signes en tant que langues indépendantes et de même niveau, est
particulièrement essentielle pour que les personnes sourdes exercent leurs
droits humains. Dans la vie quotidienne, les droits fondamentaux et humains
des personnes sourdes sont violés de manière quasiment systématique.

Car il ne faut pas confondre les personnes sourdes de naissance, qui, pour
certaines, n’ont pas du tout accès au médium de la langue parlée, avec les
personnes devenues sourdes avec l’âge, qui ont vécu une bonne partie de leur
vie dans la culture des personnes entendantes, et ont donc appris à lire et à
écrire.

Pour ces dernières, il est tout à fait évident que la transcription de l’oral
par le biais de la langue écrite (par le biais de sous-titres, par exemple) peut
être suffisante. D’ailleurs, la plupart des personnes devenues sourdes n’ont
pas appris la langue des signes et n’y ont pas accès.

Par contre, les personnes sourdes de naissance n’ont pas forcément accès
à la langue écrite. C’est malheureusement ce qui n’a pas pu être discuté, ni en
commission ni en plénière, lors de l’examen de la proposition de motion
M 2663.

De manière fort appropriée, les auteurs et autrices de cette dernière
proposition de motion avaient mentionné, dans leur exposé des motifs : « Il est piquant de constater que le Conseil d’Etat n’a pas suivi l’exemple
du Conseil fédéral qui a eu à coeur de tenir des conférences de presse
régulières traduites en langue des signes. Certes, la lecture sur les lèvres
peut, pour partie, permettre de suivre un débat, mais rien ne remplacera la
lucarne à droite de l’écran qui permet à une personne compétente en la
matière de traduire l’entièreté du débat en langue des signes. La pandémie justifie pleinement ce type de procédé, mais on en dira tout autant de toute
communication ou conférence d’importance de notre exécutif cantonal.
D’ailleurs – et il va de soi que les motionnaires ne le souhaitent en aucune
manière – il n’est hélas pas exclu qu’une seconde vague de coronavirus
réapparaisse et qu’un confinement avec des modalités particulières soit à
nouveau préconisé. Cette motion souhaite également rappeler que les
personnes handicapées et dans le cas d’espèce les sourds et les
malentendants ont conformément à la constitution de la République et canton
de Genève le droit d’obtenir des informations et en particulier quand leur
santé et leur sécurité sont en cause. »

La Fédération des sourds de Suisse (FSS) avait réagi par rapport à cette
non-entrée en matière concernant la proposition de motion M 2663 A, aussi je
me permets, dans le cadre de cet exposé des motifs, de donner directement la
parole aux personnes concernées, par le biais de l’organisme qui représente
cette population en Suisse et qui s’est exprimé dans un communiqué de
presse qu’on peut lire sur leur site internet :
« A Genève, la langue des signes est officiellement reconnue dans la
Constitution depuis 2013, tout comme le droit pour les personnes
handicapées d’obtenir des informations sous forme adaptée. Malgré cela et
la demande formulée par les associations concernées, le Conseil d’Etat
s’obstine à ne pas rendre ses conférences de presse sur les mesures Covid-19
diffusées à la télévision accessibles aux personnes sourdes et malentendantes
en introduisant des sous-titres et une interprétation en langue des signes.

Imaginez que vous êtes devant votre télévision, inquiet et curieux de
découvrir les mesures de protection contre la pandémie du Covid-19 que doit
annoncer le Conseil d’Etat à la télévision, mais qu’au moment fatidique, le
son ne fonctionne pas. C’est cette angoisse que vivent depuis des mois les
personnes sourdes et malentendantes à Genève, conférence de presse
télévisée du Conseil d’Etat après conférence de presse. Elles savent que des
décisions importantes sont annoncées, des décisions qui vont avoir une
influence sur leur santé, leur profession et leur vie sociale, mais ne peuvent
pas savoir lesquelles car sans sous-titres et sans interprétation en langue des
signes, ces informations vitales leur restent inaccessibles. Ce refus de mettre en place une information accessible aux personnes
sourdes et malentendantes est d’autant plus choquant dans un canton qui a
pourtant reconnu depuis 2013 la langue des signes (art. 16, al. 3) ainsi que le
droit pour les personnes handicapées d’obtenir de la part de l’Etat des
informations sous forme adaptée (art. 16, al, 2) dans sa nouvelle Constitution ! Comme le relève Mehari Afewerki, président de la Société des
sourds de Genève : « Si l’on inscrit des droits dans la Constitution, il faut
aussi être prêt à les appliquer et ne pas se cacher derrière des arguments de
coût ou autres. »
Aujourd’hui, la Fédération suisse des sourds et la Société des sourds de
Genève demandent au Conseil d’Etat de respecter la Constitution genevoise
et de mettre en place des sous-titres et une interprétation en langue des
signes dès sa prochaine conférence de presse retransmise à la télévision afin
que les personnes sourdes et malentendantes puissent enfin, elles aussi, avoir
accès aux informations en lien avec les mesures Covid-19 cantonales, comme
tous les autres citoyens genevois. Si les cantons du Valais et du Tessin ont pu
appliquer ces mesures, pourquoi pas notre canton ? »

Et effectivement, pour reprendre les derniers mots de la FSS, pourquoi
notre canton n’entrerait-il pas en matière, si d’autres l’ont fait ? Ceci d’autant
plus qu’en 2003 le canton de Genève s’était distingué en étant l’un des seuls
trois de Suisse à avoir adopté l’initiative populaire « Droits égaux pour les
personnes handicapées », ceci par 59% de sa population, devant le Jura
(54,9%) et le Tessin (54,0%)3. Il est vrai qu’à l’époque, l’Alternative et
l’Entente avaient soutenu ensemble le « oui », contrairement, pour cette
dernière, aux mots d’ordre donnés par les partis nationaux. Le comité
genevois de soutien à cette initiative incluait notamment, comme
vice-présidents, M. Jean-Louis Fazio, qui y représentait le parti socialiste, et
moi-même pour les Verts, sous la présidence éclairée de Mme Beatriz de
Candolle, qui y représentait le parti libéral.

Nous espérons donc, en déposant cette motion, que justice pourra être
rendue à une thématique importante bien que méconnue, et que, à tout le
moins, ce dépôt rendra possible l’audition des personnes concernées, bien sûr
avec l’aide d’un.e interprète en langue des signes. Les personnes représentant
les Sourd.e.s de Suisse pourront peut-être alors démontrer aux membres de la
commission qui les auditionnera l’importance – symbolique et pratique – de
l’utilisation de la langue des signes pour permettre un accès total, notamment
aux conférences de presse du Conseil d’Etat, et, au-delà, aux débats de notre
Grand Conseil.