David Martin

Motion déposée par David Martin en février 2021

Texte complet: M 2732

Exposé des motifs:

Le 4 décembre 2019, le canton de Genève déclarait l’urgence climatique
et revoyait à la hausse ses objectifs climatiques, en se fixant une réduction de
60% de ses émissions de gaz à effets de serre (par rapport à 1990) d’ici à
2030 et la neutralité carbone pour 2050. Pour se donner une chance
d’atteindre ces objectifs, il est donc extrêmement urgent d’agir sur tous les
différents secteurs émetteurs de GES.

Il faut également noter que le canton de Genève se trouve à un moment
décisif de son développement. Récemment, certains projets d’aménagement
ont été refusés par la population. Si plusieurs raisons peuvent expliquer cela,
la qualité des constructions y a certainement contribué. Il est notable que les
citoyen-ne-s prennent de plus en plus conscience de l’impact des activités
humaines sur l’environnement et le secteur de la construction n’y fait pas
exception. Il est donc particulièrement important de réfléchir à réduire au
maximum l’impact environnemental des nouvelles constructions, afin d’en
améliorer l’acceptabilité.

Le bilan carbone du canton de Genève souligne que le secteur résidentiel
est le deuxième secteur le plus émissif de gaz à effets de serre. Cela est
surtout dû au parc de bâtiments anciens qui représentent d’importants
gouffres énergétiques et dont le chauffage est aujourd’hui principalement
alimenté au mazout. L’assainissement de ces bâtiments et leur raccordement
aux énergies renouvelables sont absolument nécessaires et urgents. En
parallèle, les standards de performance énergétique sont régulièrement
réévalués. Pour les nouveaux bâtiments, la tendance réjouissante est une
empreinte carbone minime pour l’énergie d’exploitation grâce à une forte
isolation et une énergie de plus en plus renouvelable.

En revanche, l’énergie liée à la production du bâtiment et de ses
matériaux occupe une place de plus en plus importante. Ici, on parle donc de
l’énergie grise des bâtiments. Il est essentiel de prendre cette dernière en
compte pour pouvoir atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. On estime que les émissions rejetées par les matériaux lors de la construction des
bâtiments et des infrastructures seront responsables de la moitié de
l’empreinte carbone des nouvelles constructions d’ici à 2050. Cette
empreinte peut être fortement réduite au moment lors la conception et de la
construction des bâtiments. Il est donc nécessaire d’agir maintenant, car les
choix constructifs d’aujourd’hui vont déterminer – sur une petite période –
une grande quantité des émissions du bâtiment et ceci sur l’entièreté de son
cycle de vie.

Le béton est aujourd’hui le matériau de construction le plus utilisé dans le
monde. Or la fabrication de ciment, composante essentielle du béton, a un
impact majeur sur l’environnement. Elle repose sur des ressources en voie de
raréfaction qui demandent des extractions de plus en plus néfastes pour
l’environnement. Le ciment fait aussi partie des domaines où les attentes en
matière de réduction des émissions de CO2 sont importantes. Cemsuisse,
l’interprofession du ciment, parle ainsi dans son rapport annuel 2019 de
382 000 tonnes de CO2 émises en 2018 en Suisse par ce seul secteur de
production. A l’échelle mondiale, on parle de plus de 5% des émissions
globales de CO2 induites par cette fabrication.

S’il est indéniable que le béton présente de nombreux avantages – c’est
un matériau durable et solide dont la composition peut varier pour s’adapter à
divers types de constructions – ce matériau arrive probablement à un
tournant. A l’heure de l’urgence climatique et de la chute drastique de la
biodiversité, le béton présente de nombreux inconvénients dans la nécessaire
transition écologique des villes. S’il est difficile d’imaginer pouvoir s’en
passer complètement, à court terme, il est possible de prendre des mesures
pour en limiter la consommation ou de réduire son impact environnemental
en menant une réflexion de fond sur le choix des matériaux qui le composent,
son recyclage ou son réemploi et en recourant à des matériaux alternatifs tels
que le bois !

La présente motion ne cherche pas à faire le procès d’un matériau en
particulier. Elle demande au contraire d’inclure un indicateur objectif dans
les pratiques constructives, celui de l’empreinte carbone. Heureusement,
l’évolution des techniques et normes constructives offre de nombreuses
possibilités pour construire « bas carbone ».

On pense tout d’abord au bois et à l’ensemble des matériaux issus de la
biomasse, matière première abondante dans nos régions, et qui ont le double
avantage d’être économes en énergie de production et de faire office de puits
de carbone en stockant du carbone durant tout leur cycle de vie. Le recours
massif au bois et son argumentaire sont détaillés dans une proposition de
motion déposée en parallèle à ce texte. La présente motion n’essaie donc pas
de faire de l’ombre à ce noble matériau, mais vise plutôt à compléter la
palette des possibles en proposant d’utiliser des matériaux « bas carbone »
lorsqu’il n’est pas possible d’utiliser du bois.

En effet, l’empreinte carbone du béton peut être réduite en recourant à des
matériaux recyclés ou des techniques qui permettent de modifier sa
composition en remplaçant le ciment par des résidus industriels issus de la
combustion des centrales à charbon ou des biocarburants. D’ailleurs, le label
bien connu Minergie-ECO impose des taux minimaux de 80% à 40% de
granulats recyclés pour les constructions en béton (selon le type d’usage). De
tels taux sont raisonnablement atteignables en l’état actuel de la technique. Si
d’importants des volumes de matériaux minéraux triés s’accumulent dans les
installations de recyclages à Avusy ou à Meyrin, c’est parce que les maîtres
d’ouvrages n’ont pas encore le réflexe d’exiger du béton écologique : passons du béton au béton recyclé… Les matériaux recyclés peuvent également servir
lors de remblais ou de projets d’espaces publics. Il faut donc cesser d’utiliser
systématiquement des matériaux neufs et favoriser le recyclage. D’autres
matériaux, tels que les briques en terre crue, ont également fait leurs preuves
sur les plans architectural et constructif. Ils présentent eux aussi une très
faible empreinte carbone.

En parallèle du recyclage, le réemploi de matériaux constitue aussi une
véritable alternative. En offrant une deuxième vie à des cloisons, des poutres,
du parquet ou des portes, on divise par deux les émissions de ces objets. Il
s’agit de mettre en place des solutions pour inciter les entreprises de
démolition à déposer les matériaux par lots sur des plateformes d’échanges
destinés à des professionnel-le-s pour redonner une seconde vie aux
matériaux.

Le postulat de réduire l’empreinte carbone des matériaux vaut également
pour les rénovations. L’isolation des bâtiments, par exemple, doit également
s’effectuer avec des isolants biosourcés. Ainsi les milliers de bâtiments qui
feront l’objet d’un assainissement ces prochaines années doivent également
être perçus comme autant d’occasions de stocker du carbone, grâce à
l’utilisation des « bons » matériaux lors de la rénovation.

Force est de constater qu’aujourd’hui ce panel de solutions (bois,
écobéton, matériaux recyclés, réemploi,…) est pratiquement inexistant dans
la plupart des bâtiments construits. Le recours au béton traditionnel semble
malheureusement aller de soi. Cela s’expliquerait par le poids des habitudes
et des normes et par un conservatisme un peu trop prononcé des maîtres
d’ouvrage et des professionnels de la construction, en partie nourri par la
crainte de devoir assumer le risque de travailler avec de nouveaux matériaux.
Enfin, le poids des lobbies représentés dans les commissions normatives, et
qui freinent le référencement de ces nouveaux matériaux, ne doit pas être
négligé.

Or, à ce jour, il n’existe aucun incitatif ni aucune prescription légale
visant à orienter les maîtres d’ouvrage sur le choix des matériaux de
construction et de façade, que cela soit pour des motifs esthétiques ou
écologiques. La prescription d’un seuil carbone pour les nouvelles
constructions permettrait de donner des orientations aux maîtres d’ouvrage,
de favoriser l’innovation architecturale en matière de construction
écologique. On assiste, d’ailleurs, à la mise en place d’une régulation à ce sujet dans la plus plupart des pays européens. Il est nécessaire d’amener
toute la filière de construction à monter en compétences sur ces questions de
choix de matériaux et d’empreinte carbone du bâti. L’Etat doit participer
activement au développement de formations, d’outils facilitant le calcul de
l’empreinte carbone et de bases de données permettant l’apprentissage et les
retours d’expérience à l’intention des professionnel-le-s de la construction.
L’HEPIA, l’UNIGE, l’EPFL sont autant de ressources régionales capables de
contribuer à faire évoluer les pratiques constructives en lien avec les
architectes et ingénieurs de notre canton.

Certaines réalisations récentes sur le canton ont mis en évidence la
sensibilité de plus en plus importante que la population accorde aux choix
architecturaux, notamment en ce qui concerne la façade des bâtiments et
l’impression qu’elle renvoie. Un important travail sur les matériaux et
l’empreinte carbone doit donc être mené, afin d’en améliorer la perception et
l’acceptabilité. Avec la réalisation du PAV et d’autres grands projets ces
prochaines années et le dynamisme de son secteur de la construction, le
canton de Genève a l’opportunité de se placer à l’avant-garde en
construisant dès aujourd’hui la ville de la neutralité carbone et de
l’innovation architecturale de demain.

En vertu de ses engagements climatiques et de l’évolution nécessaire du
secteur de la construction, il paraît opportun que l’Etat de Genève agisse de
façon à la fois prescriptive et incitative pour réduire l’empreinte carbone liée
aux matériaux de construction.